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Par la suite, parmi ceux qu’il a tenus à ses confidens, on ne retrouve plus un écho de ceux qu’ils ont entendus à Varzin au mois d’octobre 1877. Si, ce jour-là, des remords ont hanté sa conscience, il n’en reste plus rien lorsque, treize ans plus tard, commence pour lui l’exil de Friedrichsruhe.

Durant les semaines qui s’écoulent après son arrivée dans cette résidence où il a résolu de se fixer définitivement, il se consacre aux soins de son installation et au classement de ses papiers. Il songe à écrire ses Mémoires. A cet effet il a amené avec lui son secrétaire ordinaire le fidèle Bücher, ainsi qu’un jeune professeur, qui écrira sous sa dictée ou copiera ses manuscrits. Il compte en outre faire appel à son historiographe Maurice Busch, à qui il accorde une confiance illimitée. Quoique absorbé par ces occupations, il ne perd aucune occasion d’exhiber son ressentiment. Il tient à faire comprendre à l’Empereur qu’il ne désarmera pas. N’osant s’en prendre directement à lui, c’est contre le général de Caprivi, son successeur à la chancellerie, qu’il excite les journaux à ses gages. Mais sous cette forme indirecte c’est l’Empereur qu’il vise.

A la suite d’un discours prononcé le 15 avril au Reichstag par le nouveau chancelier, il inspire au journal Hamburger Nachrichten un article d’une extrême violence, qui soulève de toutes parts la plus vive indignation : « C’est une véritable infamie, écrit Hohenlohe ; car il n’est pas dirigé contre Caprivi mais contre l’Empereur lui-même. » Après l’avoir lu, Guillaume II déclare à ses intimes que Bismarck l’a gravement offensé. Mais il se contient et, affectant de dédaigner l’attaque, il se refuse à croiser le fer et même à sévir. Ce sera son attitude jusqu’à la fin du conflit auquel seule la mort de Bismarck mettra un terme. — Je me garderai bien de le poursuivre, dit-il, ni d’user de : rigueur envers lui. Je ne veux pas en faire un martyr. S’il était emprisonné à Spandau ou ailleurs, sa prison deviendrait bientôt un but de pèlerinage. Et il ajoute avec amertume : — Les méfaits du comte d’Arnim à qui il les a fait si cruellement expier ne sont rien à côté des siens.

Nous ne savons si ces propos révélateurs de la colère impériale arrivèrent jusqu’à Bismarck. Mais, s’il les connut, ils ne pouvaient changer son attitude malveillante et irritée. A la même époque, on en eut la preuve dans le langage qu’il tint au grand-duc de Bade, son vieux complice de la guerre de 1870. Ce