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lui révèle que l’ex-chancelier est morphinomane et que telle est la cause de l’affaiblissement de ses facultés. L’Empereur tombe des nues ; il reste incrédule. Néanmoins, il s’informe et il trouve un homme, ancien collaborateur de Bismarck, plus reconnaissant que ses collègues et assez courageux pour lui déclarer que ceux qui ont tenu ces propos « ne peuvent être que des gales. »

Des incidens analogues se multiplient durant les mois qui s’écoulent après que Bismarck a été renversé. Voici, cependant que vers la fin de 1891, on signale l’existence d’une coterie qui s’est formée à la Cour et qui se donne comme objectif de le ramener au pouvoir. Toutefois, ce n’est pas dans l’intérêt du chancelier d’hier qu’elle s’agite ; c’est pour renverser son successeur le général de Caprivi. Ceux qui avaient convoité la succession de Bismarck sont maintenant ligués contre Caprivi, non pas seulement par jalousie et par envie, mais aussi parce qu’il apporte dans l’exercice de ses hautes fonctions une rectitude, une droiture et une loyauté auxquelles Bismarck, coutumier de la ruse, de l’intrigue et du mensonge, ne les avait pas accoutumés. Quoique docile à l’excès à la volonté du maître, Caprivi est un honnête homme, et à ce point que lorsque, pour obéir, il est tenu de dissimuler, c’est en se faisant violence qu’il s’y résigne. Un trait de lui nous donne la mesure de sa probité.

Le bruit s’était répandu qu’une atténuation allait être apportée aux sévérités auxquelles étaient soumises les populations d’Alsace-Lorraine, et notamment que la formalité des passeports allait être supprimée. Ayant eu vent de ces rumeurs et désirant savoir si elles étaient fondées, l’ambassadeur de France crut devoir en entretenir le chancelier. Il allait partir pour Paris et eût été heureux de communiquer à son gouvernement la bonne nouvelle. Il interroge donc Caprivi, mais celui-ci répond par une fin de non-recevoir.

— On vous a trompé, dit-il, l’heure n’est pas venue de changer ce qui est. Pour le moment, il n’y a rien à faire.

Quelques jours plus tard, en l’absence de l’ambassadeur de France, il fait appeler le conseiller de l’ambassade désigné comme chargé d’affaires et lui annonce que les provinces annexées vont enfin jouir d’un traitement moins rigoureux.

— Vous m’excuserez auprès de votre chef, ajoute-t-il, de ne lui avoir pas annoncé, quand il est venu me voir, ce que je vous apprends, bien que déjà tout fût décidé par l’Empereur. C’est en