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que le prince Henri, frère de Guillaume, devait aller le chercher à la gare afin de le conduire au palais. Mais ce n’était pas assez pour faire croire à ses partisans que l’Empereur se prêterait à des entretiens sur la politique, et ils commençaient à comprendre que tout se bornerait de la part du souverain à un témoignage de déférence et de cordialité. Néanmoins, dans le monde de la Cour, on s’accordait à penser que la visite avait ses dangers et qu’en relevant Bismarck, elle nuirait au prestige monarchique. On remarquait d’autre part que Caprivi n’en avait pas été averti. « Il supporte la chose avec résignation, écrivait Hohenlohe. Il est bon qu’il se résigne et que nous le gardions. » Il craignait cependant que Bismarck ne le rendit suspect à l’Empereur.

C’est dans ces circonstances que, le 25 janvier, l’ex-chancelier arrivait à Berlin, à une heure de l’après-midi. Un carrosse de gala, escorté par un détachement de cuirassiers, l’attendait ; il y prit place avec le prince Henri. Quelques voitures suivaient. Dans l’une d’elles se trouvait le comte Herbert, mais il quitta le cortège aux portes du palais. L’Empereur était descendu sur le seuil pour recevoir le visiteur ; il l’embrassa en lui souhaitant la bienvenue. Il le conduisit ensuite auprès de l’Impératrice et l’on se mit aussitôt à table pour déjeuner. Aucun personnage de la Cour n’avait été invité et le repas fut tout intime. L’Empereur guidait l’entretien, sans permettre qu’il s’égarât sur les choses dont il ne voulait pas parler.

En quittant la table, Bismarck se rendit chez la veuve de Frédéric III. Là encore, tout se passa en politesses banales. Rentré dans ses appartemens, Bismarck reçut quelques visites, celle de Caprivi notamment, et celle aussi du roi de Saxo, venu à Berlin pour le rencontrer. Pendant ce temps, l’Empereur se promenait à cheval sous les Tilleuls. Les acclamations dont il fut l’objet lui prouvèrent qu’on lui savait gré d’avoir fait les frais de la réconciliation. A la fin de la journée, était servi dans l’appartement de Bismarck un dîner de neuf couverts auquel étaient conviés ses fils et quatre officiers du régiment de cuirassiers dont il était colonel ; l’Empereur n’y fit qu’une courte apparition. Quelques instans après, il ramenait son invité à la gare, et celui-ci rentrait le même soir à Friedrichsruhe. Ainsi se terminait cette visite dont à l’avance on avait tant parlé. Elle se terminait sans avoir justifié les craintes des uns, ni les espérances des autres. L’ex-chancelier avait reçu de la population