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Manuel, auquel Charles cédait ainsi la place d’honneur et après lequel venait le légat du Pape, le cardinal-prêtre français du titre de Sainte-Suzanne, Pierre de Thurey, évêque de Maillezais, qui avait officié à la messe de mariage. De l’autre côté de la reine étaient le roi Louis de Sicile, puis son frère Charles, prince de Tarente.

Le jour suivant, le Duc de Berri, père de la nouvelle mariée, ce prince si amoureux des arts, si fastueux, dont les riches collections sont demeurées célèbres, invita à son tour les mêmes convives et toute la Cour à un autre banquet pour le retour de noces dans son si bel hôtel de Nesle. Celui-là fut, paraît-il, un des plus splendides qu’on ait jamais vus. Comme l’hôtel de Nesle ne contenait pas des appartemens assez grands pour la foule des convives, le Duc de Berri avait fait construire dans la cour une immense salle en bois, au vaste plafond et aux parois entièrement tapissés d’étoffes tissées d’or et de soie. Le Religieux de Saint-Denys nous dit que les princes du sang, afin de donner plus d’éclat à la solennité, firent au duc l’honneur, entièrement contraire à l’usage, de servir les plats sur la table aussi bien au dîner qu’au souper qui clôtura la soirée de musique et de danses.

Enfin, le jeune roi ne cessait de s’occuper de tout ce qu’il pensait pouvoir être agréable à son hôte impérial. Manuel, ravi de ce parfait accueil, semblait parfois oublier pour quelques instans, au milieu de ces fêtes incessantes, les cruelles anxiétés qui l’accablaient. Ce prince, d’une nature si délicate, d’une intelligence si fine, exerçait dans ce milieu très élégant, mais beaucoup moins raffiné, une fascination extraordinaire. « Ce noble prince et bel vieillard, monseigneur Manuel Paléologue, empereur de Constantinople, » dit Jean d’Orronville. « Car sans faillir, dit à son tour l’historien de Boucicaut, est l’empereur Carmanoli, prince de grand révérence, bon, prudent et saige, et est pitié dont il est en telle adversité. » « Tous ceux qui l’ont vu, dit l’Anonyme de Saint-Denys, ont été frappés de sa bonne mine et l’ont jugé digne de l’empire. » « Et quand l’Empereur, dit encore l’historien de Boucicaut, est assez reposé, il dict bien et saigement au Roy, présens nos Seigneurs en plein Conseil, la cause qui le menoit en France. Si luy feut donnée response bonne et gracieuse, et de bonne espérance. Et sur ce eut le Roy advis1 avec son Conseil, et par plusieurs fois en feust parlé avant que la chose ne feust conclue. » On aimerait à pouvoir