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En Russie, M. Sazonoff laissait entendre un langage favorable ; le ministère des Affaires étrangères faisait connaître à l’opinion que la Russie serait toute disposée à voir le Japon, qui avait déjà obtenu tant d’avantages en Chine, en obtenir encore de plus étendus, et à conclure avec son ancien adversaire une alliance politique.

MM. Conrad, professeur à l’Université de Pétrograd, et Chimiloff, rédacteur aux Rousskoié Viedomosti de Moscou, se rendaient au Japon, pour y faire des conférences, afin de démontrer au public tous les avantages d’une coopération militaire japonaise avec l’armée russe.

Ainsi, les volontés des hommes d’État des deux nations convergeant vers un même point, une alliance devint de plus en plus probable.

Mais toute alliance est le résultat d’un contrat, dans lequel chacune des deux parties apporte et demande quelque chose. Quelle est donc la condition que le Japon mettait à son concours ?

C’était évidemment, d’une part, de pouvoir stabiliser les résultats déjà obtenus par lui en Chine, et, d’autre part, d’en poursuivre d’autres sans entraves, de marcher vers son but immédiat : la direction effective de ce pays, en écartant l’opposition de toute Puissance.

Or, il y a un peuple qui, bien que pacifique par principe et par tendance, serait susceptible de devenir un adversaire redoutable pour le Japon : c’est la grande République de l’Amérique du Nord. Certains hommes d’Etat japonais seraient bien aises de pouvoir éventuellement constituer, en vue d’une résistance aux vues américaines, un bloc imposant de plusieurs grandes Puissances.

Il convient d’ailleurs de remarquer que, sur ce point, le Japon n’est pas unanime dans ses sentimens. Chacun y envisage le but d’une alliance à sa manière. Le vieux Japon conservateur, qui a gardé l’esprit et les mœurs de la féodalité, semble comprendre une alliance avec la Russie comme un moyen de satisfaire ses aspirations impérialistes en acquérant des territoires, en renforçant le militarisme et en permettant de résister avec succès aux Etats-Unis. Le monde libéral, commerçant et industriel y voit l’ouverture d’un riche marché économique ; ce milieu n’est pas hostile à une politique agressive contre les Américains, et voit d’un bon œil les acquisitions territoriales en