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empruntait vers Brème ou vers Hambourg l’intermédiaire anglais[1].

Dans le monde entier, c’est aux sujets ou aux correspondans habituels de l’Angleterre que cette flotte allemande allait offrir ses services : elle semblait avoir pris pour règle de vie, non pas de gagner sa vie, mais de naviguer autant que les Anglais, plus que les Anglais et au détriment des Anglais : navigare necesse est, vivere non est necesse, avait dit un jour le Maître, en reprenant la vieille devise hanséatique. Evincer et remplacer l’Angleterre dans le roulage des mers : le résultat eût assurément valu tous les efforts, car le gain définitif eût remboursé tous les sacrifices préliminaires. Mais quelles chances avait-on de gagner la partie ? à quelles conditions et dans combien de temps pouvait-on raisonnablement escompter le résultat ? Question plus simple encore, mais qui résumait tout ce problème anglo-germanique : est-il possible à l’homme de bâtir profitablement n’importe quel édifice sur n’importe quel point du globe et sur n’importe quel terrain ? peut-on fonder et élever sur le marais fluent les sept ou huit étages que la roche porte sans peine ? peut-on ouvrir un grand comptoir en plein Sahara ou une grande usine au pôle ? pour conquérir le trafic mondial, l’Allemagne avait-elle reçu de la nature des chances supérieures ou égales seulement à celles de l’Angleterre ? ou l’écart de ces chances était-il assez faible pour que le génie de l’homme pût le combler ?

Après que Carthage, Alexandrie, Byzance et Venise avaient été tour à tour les reines du commerce méditerranéen, après que Cadix, Lisbonne et Amsterdam s’étaient succédé dans l’empire du commerce tropical, l’Angleterre était devenue la reine du commerce mondial, le jour où l’Atlantique était devenu la grande route de ce commerce et à mesure que l’Atlantique du Nord surtout était devenu, entre la civilisation européenne et les Terres Neuves de l’Ouest, le grand passage des hommes et des produits. Cette suprématie anglaise, fondée au XVIIIe siècle par la vertu des conditions géographiques, s’était inébranlablement assise au XIXe par la grâce du charbon et de la vapeur.

  1. COMMERCE DE L’ALLEMAGNE EN 1913 (en millions de marks)

    Europe continentale Empire britannique Etats-Unis Totales
    Importations 5 013 2 262 1 711 10 770
    Exportations 6 239 1 886 713 10 096