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de chaudières et ses hélices de tours à la minute, et plus vite elle arriverait à la conquête du monde. Après les navires de 26 000 tonneaux, elle avait lancé ceux de 30, 35, 40 et 45 000 ; elle triomphait enfin et battait tous les records avec ses Imperator de 50 000. Mais voici que le Kolossal faisait faillite sur les océans : à quadrupler, décupler le coût et les frais d’un navire, on en quadruplait rarement et l’on n’en décuplait jamais les revenus ; au-delà de certaines limites, l’effort humain ne paie plus ; au-delà d’une certaine altitude, le kolossal Mont-Blanc ne porte ni moisson, ni forêts, et nulle part, dans le monde d’aujourd’hui, l’élevage du mammouth ne couvrirait ses frais.

« Rien de trop, » disait la sagesse expérimentale des Hellènes, qui se moquaient volontiers des montagnes qui accouchent et, plus encore, des hommes qui veulent accoucher d’une montagne. Hambourg pensait désormais à réduire le tonnage de ses monstres et même commençait de les revendre à n’importe quel prix : ils travaillaient d’autant plus à perte qu’ils travaillaient à plus fort rendement ; toutes cales pleines, c’était le déficit énorme ; mi-cales vides, c’était presque le bénéfice. Seule, la houillère anglaise, la salpêtrière chilienne ou la Russie pétrolière pouvaient remplir avec profit des cales aussi gigantesques, parce que la masse de leurs produits naturels, et non la valeur de leur travail humain, faisait leur richesse. Mais le pauvre sol et le médiocre sous-sol de l’Allemagne ne portaient qu’une humanité énergique, habile, savante : elle ne pouvait fournir au monde que les produits limités d’un ancien monopole intellectuel qui disparaissait de jour en jour.


L’usine allemande, de 1905 à 1910, gardait pourtant quelques grandes spécialités, dont l’Europe et le monde s’efforçaient vainement d’acquérir le profit. L’optique allemande, les drogues et les couleurs allemandes avaient dans l’univers des concurrentes ; elles n’avaient pas encore de rivales. Mais, en cette Allemagne, dont la science avait fait naguère le triomphe, c’étaient maintenant les industries les moins rigidement techniques, les plus unwissenschaftlich, les moins scientifiques, qui demeuraient les plus profitables : dans toutes les autres, il apparaissait clairement que si un peu de science conduit à la fortune, et beaucoup de science, à la prospérité, trop de science