Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 30.djvu/88

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

efficacité restreinte, lorsqu’il n’y a point de force armée pour y collaborer, mais qui eussent prouvé, tout au moins, que le pays s’attachait désespérément à son indépendance ? En droit strict, le reproche serait justifié. En fait, l’invasion fut si soudaine, qu’à accepter ce que nous croyons être l’interprétation luxembourgeoise, le temps matériel aurait fait défaut pour prendre une décision quelconque. C’est une question que peuvent aider à résoudre non seulement les dates, mais les heures mentionnées dans notre récit. On comprendra qu’elle puisse prêter à controverse, étant donné qu’il suffit de quelques instans pour allumer la mèche d’une mine.

En passant, ne manquons pas de signaler la mise en pratique d’une des thèses favorites de l’Allemagne, thèse suivant laquelle un mauvais coup serait excusable, dès qu’il y a nécessité d’agir avec promptitude. « Nous avons dû prendre des mesures pour la protection de notre armée et la sûreté des voies ferrées, dit M. de Jagow dans son télégramme du 2 août 1914 au président du gouvernement du Luxembourg… En présence du péril imminent, nous n’avions malheureusement plus le temps d’en aviser préalablement le gouvernement luxembourgeois. »

Peut-être la crainte d’attirer de terribles maux sur leur pays fit-elle que les membres du gouvernement grand-ducal préférèrent « avoir été surpris, » que d’avoir eu à répondre à une sommation préalable. Et lorsque l’invasion fut un fait accompli, aucune voix, à notre connaissance, ne s’éleva dans le grand-duché, contre l’attitude résignée qui avait été adoptée. L’idée seule des conséquences désastreuses qu’aurait entraînées la moindre résistance semble avoir été à ce point terrorisante qu’elle écarta toute autre considération. « Que pouvions-nous faire ? A quoi bon d’inutiles sacrifices ? » telles sont les phrases que nous entendîmes souvent répéter.

En laissant à qui de droit le soin de prononcer un jugement définitif, il sera permis à un Belge, qui éprouve une légitime fierté de la manière dont son propre pays s’est comporté, de poser tout au moins cette question : Les partisans d’une prudente abstention ont-ils apprécié toute la valeur du service qu’un petit peuple, matériellement impuissant, mais grandi par une noble audace, aurait pu rendre à la cause de la justice ? Toutefois, si l’effet moral d’une tentative de résistance eût été