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passe ses journées à l’état-major de la garde nationale, au rez-de-chaussée du palais des Tuileries. Le 15 mai, il saute par la fenêtre, — encore ! — rattrape la sixième légion rue de Castiglione, lui fait rebrousser chemin et la mène à l’Hôtel de Ville dont il s’empare sans coup férir, à l’effet de le remettre à Lamartine. Cet exploit lui valut un banquet offert par les officiers de la sixième légion pour avoir sauvé la patrie. Ce furent les journées comiques ; il y en eut de tragiques. Mézières était à la barrière d’Italie avec le général Bréa et le capitaine Mangin, qui furent tués par les insurgés. Enfin, l’ordre se rétablit. Et les normaliens, après cet intermède politico-militaire, se remirent, avec docilité et le sentiment du devoir accompli, à des travaux moins guerriers.

L’Ecole d’Athènes venait d’être fondée par M. de Salvandy avec ce programme vague et séduisant : « demander les secrets de la langue d’Homère aux échos du Parthénon, évoquer les grands souvenirs, interroger de site en site l’âme des vieux poètes, découvrir à leurs vers, en face des lieux qui les ont inspirés, un nouveau charme et comme un sens nouveau. » C’était une école d’humanistes, ce n’était pas encore un séminaire d’archéologues. Mézières partit dans l’ivresse de la liberté et de la découverte, en petit Français qui n’a jamais rien vu et devant qui le vaste monde déroule ses plus nobles aspects. Les voyages d’alors, moins faciles que les nôtres, avaient plus de pittoresque et d’imprévu. De Rome à Naples, l’unique moyen de locomotion était le voiturin, célébré par Dumas père. Le voyageur choisissait son heure de départ et s’arrêtait à volonté pour contempler le paysage ou pour regarder les monumens. Mézières avait pour compagnons de route Beulé et Alexandre Bertrand. Il était entre deux le trait d’union. « A Beulé, l’audace, l’initiative, les entreprises périlleuses. A Bertrand, plus de prudence et d’inertie que de curiosité. Entre les deux, je tâchais de retenir l’un et de stimuler l’autre. » Ainsi il préludait a ce rôle de juste milieu, de conciliation et de modération, où il excella toujours. A Athènes, il devait retrouver Jules Girard, dont le nom est resté cher à tous les fervens de l’hellénisme. Eleusis, Sparte, le Taygète, les Cyclades, Corfou, Zante… le voyageur de vingt-trois ans allait de surprises en enchantemens. Bien sûr, il avait des heures de nostalgie, et cela lui manquait, depuis son arrivée en Grèce, de n’avoir pas encore vu un bois, un vrai bois, comme