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savante et studieuse Allemagne venait d’anéantir le fruit de tant de travaux, ce que, pendant des siècles, avaient rassemblé la science, le goût, l’intelligence d’un grand nombre d’esprits cultivés, une bibliothèque libéralement ouverte aux savans de l’univers entier. La barbarie revient parmi nous, et c’est le peuple le plus instruit, le plus cultivé qui nous la ramène. » Après la bibliothèque de Strasbourg, c’est la cathédrale elle-même qui s’enflamme sous le coup des obus allemands, comme devait le faire, il y a un an, la cathédrale de Reims. Même hypocrisie qui consiste à fusiller les civils « par humanité » pour abréger la guerre. Les villes incendiées, sous couleur de représailles, sous le prétexte de résistances imaginaires, au mépris du droit des gens… Mais à quoi bon multiplier les citations ? C’est tout le livre qu’il faudrait citer. Il prouve, si l’on en pouvait douter, que la guerre de 1914 est, sur presque tous les points, la répétition de celle de 1870. Des livres tels que ces Récits de l’invasion auraient dû entretenir le pays dans la pensée du danger d’hier, qui n’avait pas cessé d’être le danger de demain.

Aussi en évoquant le souvenir de l’homme excellent qui vient de nous quitter, nous songeons à toutes les rares qualités qui nous le rendaient cher. Nous revoyons le grand vieillard, à la haute taille, aux larges épaules, qui souriait dans sa barbe blanche. Nous aimions la sagesse de ce Nestor et l’aménité des paroles qui se pressaient sur ses lèvres comme les flocons de la neige en hiver. Nous saluions en lui un pur représentant de notre race dont il avait le bon sens, la bonne grâce, la belle humeur et aussi la malice avisée. L’Université se rappellera qu’il fut un de ses plus brillans professeurs et le Parlement un de ses orateurs les plus dignes d’être écoutés. Mais ce qui restera son honneur, et qui est l’enseignement de sa vie, ce qui lui assigne une place, la plus enviable de toutes, dans la reconnaissance que le pays garde à ses bons serviteurs, c’est d’avoir été, pendant quarante-quatre ans, dans une France qui laissait s’effacer la leçon du passé, celui qui n’avait jamais oublié.


RENE DOUMIC.