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franchise sur le compte des dignitaires allemands de toute catégorie’ avec lesquels il a eu l’occasion de s’entretenir : mais le peu qu’il nous en dit suffit à nous montrer ces personnages, — sans doute en exécution d’une « consigne » préalable, — s’ingéniant unanimement à le mystifier. Ils prennent soin de « truquer » aussi bien les choses qu’il désirera visiter, — comme, par exemple, le régime habituel des prisonniers anglais et français, — que les affirmations dont ils l’accableront. L’un des plus considérables d’entre eux à l’aplomb de lui jurer que l’Allemagne n’a jamais songé à employer des espions « civils, » que l’Allemagne n’a jamais imité la « barbarie » des Alliés en procédant à l’« internement » de « civils, » français, anglais, ou russes, qui se trouvaient chez elle au début de la guerre, et d’autres mensonges d’une taille si énorme que M. Wood avoue en être demeuré stupéfait. Et puis, avec cela, par-dessous ces égards apparens pour un diplomate américain qui pendant des mois, à Paris, n’avait point cessé de s’employer de toutes ses forces au profit de nombreux milliers de sujets allemands, M. Wood reconnaît, à des signes trop certains, que le moindre de ses mouvemens est épié, noté, rapporté aussitôt à la police impériale. Ah ! certes, — et bien qu’il évite de nous l’avouer trop ouvertement, — ce séjour à Berlin doit avoir encore fortement contribué à rehausser dans son cœur, par comparaison, le respect et l’amour de notre âme française !

Sans compter qu’il y a eu un moment où l’Allemagne, s’interrompant de jouer devant lui l’odieuse comédie de cette politesse entremêlée de mensonges, s’est soudain révélée à lui sous son jour véritable. M. Wood avait été prié par l’ambassadeur des États-Unis à Berlin de se rendre à Londres, afin d’y remettre au collègue du susdit ambassadeur un petit portefeuille contenant certains papiers d’une nature particulièrement « confidentielle ; » et l’autorité allemande, instruite sur-le-champ de cela comme de toutes choses, a résolu de réussir par tous les moyens à prendre connaissance de ces pièces secrètes. Dès son départ de Berlin, M. Wood a été entouré dans son wagon par quatre policiers qui, d’abord, ont essayé de lier conversation avec lui, puis de lui chercher querelle, et puis enfin de le faire arrêter par un employé du chemin de fer, — sous prétexte d’une irrégularité dans son passeport. Impossible d’imaginer l’obstination, ni l’audace éhontée de ces ruses inventées tour à tour, afin de contraindre l’agent attitré des États-Unis à se dessaisir, quelques instans, de son précieux portefeuille : et que M. Woody ait, jusqu’au bout, habilement et courageusement résisté ainsi qu’il l’a fait, cela seul