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ses amis ; mais ce n’était point par dérision ou par démonstration antireligieuse. Il avait formellement stipulé que ses restes devraient être inhumés dans la chapelle de sa maison d’Argenteuil, où il désirait qu’on rapportât les cendres de son père et celles de sa grand’mère. On sait comment l’Assemblée nationale, sur la proposition du duc Alexandre de La Rochefoucauld, décréta qu’il serait porté à l’église Sainte-Geneviève, devenue Panthéon, et avec quelle pompe extraordinaire eut lieu cette translation.

Il est bon de constater que Cerutti fut chargé de prononcer en l’église Saint-Eustache l’éloge de Mirabeau ; qu’une inscription élogieuse y fut placée en son nom par les soins de Palloy ; que le curé de Saint-Eustache et une partie de son clergé précédèrent le corps de.Mirabeau dans le cortège funèbre : qu’un service eut lieu dans l’église à huit heures du soir avec décharges de mousqueterie ; que le cortège alla ensuite avec le même clergé à l’église Sainte-Geneviève et que le curé de Saint-Eustache, qui présenta le corps du défunt, reporta le cœur à sa propre église, où il resta jusqu’à un nouvel ordre de la famille.

En outre, diverses oraisons funèbres furent prononcées dans l’église Saint-Thomas d’Aquin par l’abbé Audouin ; dans l’église des Carmes par Barbat-Duclosel ; dans l’église Saint-Philippe du Roule par Jacques Carré ; dans l’église Saint-Germain par l’abbé Leroi ; dans l’église cathédrale de Rouen par Larcher et par un autre orateur dans l’église de Lormans en Loiret.

On voit que les honneurs religieux n’ont pas manqué à la mémoire de Mirabeau, et qu’après ces démonstrations, il est difficile de croire que tous ces honneurs étaient rendus à un incroyant avéré.

Il est cependant un éloge auquel des historiens de valeur ont ajouté foi et qui n’a été qu’une sorte de mystification. Ruchez et Roux l’ont inséré dans l’Histoire parlementaire de la Révolution française, en disant que c’était un document précieux. C’est le prétendu mandement de l’évêque de Paris Gobel qui parut au lendemain de la mort de Mirabeau et produisit une certaine sensation[1]. Le contreseing de Courte-Queue, secrétaire, eût dû

  1. J. B. Gobel, chanoine de Porrentruy, évêque de Lydda en 1772 et suffragant de l’évêque de Bâle, pour la partie française de son diocèse, fut élu aux États généraux de 1789, et c’est lui qui fit voler dans la Déclaration des Droits de l’homme, la motion suivante : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses. » Après avoir fait preuve d’une réelle modération, il affecta des opinions avancées, accepta la Constitution civile du Clergé, fut élu évêque de Colmar, Langres et Paris. Il opta pour Paris et fut installé par Talleyrand, évêque d’Autun, en avril 1791. Il se lia avec les Jacobins, renonça le 17 brumaire an II à ses fonctions ecclésiastiques, et, compromis dans la faction Hébert et Chaumette, fut décapité le 24 germinal an II. Il avait, quelques jours auparavant, adressé à l’abbé Lothringer une rétractation formelle de ses erreurs.