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qu’aucun autre la puissante poésie humanitaire ; l’éloquence profonde de ses commentaires inspirés le place au premier rang des prédicans par l’image, pour cette large interprétation familière des textes, qui fait éclater les dogmes et place le « fils du charpentier » au milieu des hommes de tous les temps.

Nous-verrons, plus tard, Spinoza se rallier aux Mennonites du Waterland, lors de ses démêlés avec la Synagogue et trouver, parmi eux, un nouveau point de contact avec le maître des Pèlerins d’Emmaüs.


IV

Dès 1639, Rembrandt allait habiter presque en face de Menassé-ben-Israël, qui demeura jusqu’à sa mort dans une maison, au coin de la Breedestraat, où il avait installé une imprimerie, à la suite de revers de fortune qui avaient englouti tous les avoirs de ses parens.

C’est donc entre sa maison paternelle, située derrière celle de Rembrandt, et la maison de Menassé-ben-Israël, en face, que la jeune vie de Spinoza allait se développer dans une atmosphère quelque peu ardente ; car, s’il recevait à la Keter-Thora, sur le Hout-gracht, les leçons de son maître direct, le Vénitien Saül Lévi Morteira, au « tempérament hautain et dominateur, » qui eût voulu pétrir cette jeune âme inquiète sur le modèle de la sienne et de toutes celles qu’il destinait au sacerdoce lévitique, il dut fréquemment confier ses troubles et ses doutes au docteur tolérant, au théologien moins étroit qui dirigeait, déjà, les destinées de cette école.

Si l’on tient compte des relations étroites de Rembrandt avec les Synagogues (car il y en avait trois qui furent un moment à la veille d’un schisme, que l’intervention de Menasse put arrêter), si l’on dénombre dans l’œuvre du maître tous les portraits de leurs Rabbins, et si l’on étudie attentivement sa célèbre eau-forte, la Synagogue des Portugais, on est forcé d’admettre que le jeune Baruch, son voisin, devait être, pour Rembrandt, une figure familière. Mais, si l’on fait état que Spinoza dessinait très élégamment, et « qu’il faisait de fort belles esquisses à la plume rehaussées de sanguine, » puis, qu’après son exil d’Amsterdam, il rechercha surtout la société des peintres, — car à Wooburg ou à La Haye il prendra sa pension