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Gilbert Augustin-Thierry, nanti de ces confiances, écrivit plusieurs romans et nouvelles qu’on aime plus ou moins selon que l’idéologie des Spirites et Occultistes vous agrée ou non. La nouvelle science ne s’est pas rendue incontestable ; elle ne s’impose pas : elle invite la sympathie et elle peut déplaire. Les « récits de l’Occulte » ont leur sort lié ainsi, en quelque mesure, à celui des doctrines dont ils sont inspirés. Mais le talent du conteur y est souvent délicieux. On dirait que Gilbert Augustin-Thierry, délivré de l’histoire et de la servitude où le souci de ne l’offenser point vous range, s’amuse de sa liberté. Ses personnages ne sont pas libres : ils dépendent de l’Occulte ; seulement, et malgré qu’on en ait, l’Occulte dépend du conteur. Alors le conteur profite de son autorité souveraine. Il a beaucoup plus d’entregent que le romancier réaliste, lequel soumet à la réalité sa copie, et que le psychologue, lequel soumet aux lois rigoureuses de la pensée et du sentiment ses fictions d’âmes. Nulle invraisemblance n’est défendue au romancier de l’Occulte, si l’Occulte a évidemment tous ses caprices garantis par son mystère. Alors, l’imagination de Gilbert Augustin-Thierry prodigue les incidens bizarres, les rencontres fortuites, les émouvantes facéties d’un hasard qui n’est jamais à court d’invention. Le Masque porte en épigraphe cette maxime pascalienne : « Les hommes sont si nécessairement fous que ce serait être fou, par un autre tour de folie, que de ne pas être fou. » Les hommes sont fous, c’est-à-dire, pour l’auteur de ce « conte milésien, » qu’ils sont les jouets innocens de l’Occulte. Or, la raison, tout empêtrée de ses dialectiques, est lente : la déraison ne l’est pas. Substituer à la logique des événemens et à la logique du cœur les soudainetés de l’Occulte, que de temps gagné, que de facilité acquise ! Dans ses meilleurs récits, Gilbert Augustin-Thierry atteint quelquefois à la perfection rapide d’un Mérimée.

Je ne sais s’il a conservé intacte perpétuellement la crédulité que la préface de va Bien-aimée proclame avec tant de fougue. Il y a, dans son roman si attachant de la Tresse blonde, un spirite et ses coopérateurs ou complices, qui vous ont une allure assez ignoble et des façons d’imposteurs. Le thaumaturge Elias n’est-il pas un ingénieux charlatan ? Mais il mène toute l’aventure : et conséquemment ne lisons-nous pas une histoire de fourberie insigne plutôt que le roman des phénomènes occultes ? Peu importe : quoi qu’il en soit du thaumaturge Elias et de ses pratiques dérisoires, si le jeune René de Mauréac subit les prestiges de ce fantoche, il n’en est pas moins dirigé par lui. Les mensonges d’Elias créent de la réalité dans une autre âme. Seulement