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beaucoup de scepticisme par l’interlocuteur. Il sourit finement, va vous chercher dans un carton une coupure de journal, — de journal français, — et il vous met sous les yeux un entrefilet haineux, tout gonflé de venin anticlérical, qui dénonce les menées ténébreuses du clergé. Voilà pour l’Union sacrée ! Et, si l’on proteste que le gouvernement n’est pas responsable de ces sottises, il entame un réquisitoire des plus précis. Ce réquisitoire, je le connais par cœur, l’ayant entendu répéter, exactement dans les mêmes termes, par tous les prélats espagnols, qui ont bien voulu me recevoir. Tous me disaient ceci :

— Si réellement, il y a quelque chose de changé dans votre gouvernement, pourquoi n’a-t-il pas rétabli son ambassade auprès du Vatican ? L’Angleterre, nation protestante, s’est empressée d’y envoyer un représentant officiel, dès le début des hostilités… Sans abroger la loi sur les congrégations, — du moins pour le moment, — comment n’a-t-il pas eu ce beau geste, cette générosité si naturelle de permettre au moins à de vieux prêtres exilés de mourir dans leur pays, alors que les jeunes sont accourus en si grand nombre pour donner à la France leur dévouement et leur vie ?… Pourquoi des catholiques n’ont-ils pas leur place dans vos ministères d’union nationale ? (M. Denys Cochin n’avait pas encore accès dans les conseils du gouvernement.) Pourquoi le nom de Dieu n’est-il jamais prononcé dans les harangues de vos hommes d’Etat ?…

À ces griefs généraux s’en ajoutaient d’autres, d’un caractère plus particulier et plus local. On remettait sur le tapis de vieilles questions, que nous pouvions croire, en France, enterrées depuis-longtemps. Par exemple, pourquoi le gouvernement français s’oppose-t-il à la création d’écoles catholiques, dans la province d’Oran, où les Espagnols sont si nombreux ? Est-ce que l’Espagne ne tolère pas des écoles françaises, laïques et confessionnelles, dans toute l’étendue de son territoire ? La France n’a-t-elle pas, à Madrid même, une espèce d’université ?… A côté de cela, on m’avouait, ou on me laissait deviner des motifs de rancune plus secrets, des froissemens d’amour-propre, que l’on voulait taire, mais qui se trahissaient d’eux-mêmes. Je soupçonnais que tel prélat espagnol n’avait peut-être pas été reçu, à Lourdes ou à Paris, avec tous les égards, tous les dehors cérémonieux qu’il eût souhaités. Ces nuances se perdent évidemment dans le grand courant de la susceptibilité