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prélats s’arrêter dans la rue pour causer avec des ménagères, caresser les enfans, faire un bout de conversation, sur le quai d’une gare, avec l’homme d’équipe ou le gendarme de service. Au fond, le catholicisme est l’armature nationale et sociale de l’Espagnol. Sans ce soutien, sans la contrainte de cette règle, ces individualistes farouches deviendraient les pires des hommes. Un militant du carlisme me disait : « Si je n’étais pas catholique, je serais anarchiste ! » — Les petits bourgeois, les ouvriers qui lisent, qui essaient de se cultiver, — espèce plutôt rare, — ne manifestent pas sans doute des sentimens d’une pareille intransigeance, mais ils n’en persistent pas moins dans leur attachement à la religion nationale. En tout cas, ils n’entendent pas s’en séparer. Leur culture élémentaire les a rendus tolérans à l’égard des autres cultes, voilà tout. J’eus l’occasion d’interroger longuement un compagnon de voyage, un simple agent des ponts et chaussées ; personnage mi-bourgeois, mi-ouvrier, dont les façons sérieuses, la tenue austère m’avaient frappé. Sur sa mine, je le pris d’abord pour un protestant, car il y a tout de même des protestans en Espagne, — et je lui demandai s’il l’était réellement :

— Moi ? fit-il avec stupéfaction : je suis catholique, apostolique et romain ! Mais j’admets parfaitement que l’on soit protestant, ou juif, ou musulman. Ce que je ne comprends pas, c’est un pays sans religion !

Et ce brave homme m’énuméra, en un castillan fort correct, — comme il sied quand on a de la lecture, — tous les inconvéniens politiques et moraux qui résultent du manque de religion.

Ainsi pense et sent la majorité du peuple espagnol. Quelles que soient nos opinions personnelles, nous devons tenir un très grand compte de ces sentimens. Il ne s’agit plus maintenant de propagande, dans un sens ou dans l’autre : il est trop tard, le siège est fait. Seul, le succès de nos armes peut amener un revirement en notre faveur. Mais, en attendant, il importe d’éviter avec soin, soit dans le choix de nos porte-paroles en Espagne, soit dans notre politique intérieure, tout ce qui pourrait être considéré comme une atteinte aux sentimens assez complexes que nous venons d’analyser. Il est trop sûr, hélas ! que nous n’y avons pas assez pris garde avant la guerre. Et c’est pourquoi ceux des libéraux espagnols, qui favorisent