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révélation. Un jeune poète, qui ne savait que son âme, venait d’inventer une poésie qui ne ressemblait à rien de déjà connu, et à laquelle tout ce qui suivrait devrait ressembler : cette révélation était une révolution. Lamartine n’avait pas été étranger à cette interprétation, où son amour-propre trouvait son compte. Rien de plus faux. Le caractère qu’a eu le moins la poésie lamartinienne, c’est celui de l’imprévu. La preuve en est dans le succès immédiat et incontesté qui l’a accueillie. M. Lanson a réuni les jugemens de la presse littéraire sur les Méditations. C’est à peine si, dans un concert de louanges, on discerne quelques fausses notes. Il est vrai que le Constitutionnel met fort au-dessus du Lac les petites pièces de Mme Desbordes-Valmore. Dans la Minerve littéraire, E. Dupaty traite le Lac de galimatias qui ne restera pas « dans la mémoire des gens de goût » et lui préfère les simples vers de M. Pillet. Dans le Globe, Ch. de Rémusat met Lamartine sur le même rang que Béranger et Casimir Delavigne, non sans qualifier ce dernier d’être « celui peut-être qui promet le plus à l’avenir. » N’oublions pas Mme du Genlis, qui, dans l’Intrépide, affecte d’être juste, mais sévère, — avec intrépidité ! Lamartine, ayant parlé de ruines qui dorment sous les herbes, « l’herbe est poétique, prononce cette prude personne, les herbes ne le sont pas, parce qu’au pluriel elles rappellent l’usage journalier qu’on en fait dans les cuisines. » Et, parmi les appréciations les moins pénétrantes, signalons celle de Victor Hugo, qui, dans le Conservateur littéraire, cite l’Homme, Dieu, la Poésie sacrée, la Semaine Sainte, met l’Invocation au-dessus de toutes les autres pièces du recueil, et, sauf le Souvenir, n’a remarqué aucune des poésies purement lamartiniennes. Son excuse est qu’il avait dix-huit ans. Mais l’applaudissement fut général. Plus encore qu’un succès de presse, les Méditations furent un succès de public. C’est donc qu’elles trouvèrent un public préparé à les comprendre. La révélation, s’il y en eut une, était très attendue.

Ni pour les sentimens ni pour leur expression, les Méditations ne contenaient rien qui fût de nature à choquer le lecteur et ses habitudes d’esprit. La versification en est toute classique. Le plus ancien souvenir d’une impression littéraire que Lamartine retrouvât dans sa mémoire, était celui de son père lui lisant Mérope. C’est en écoutant les vers de Voltaire que son oreille s’était ouverte à ’harmonie du vers français.