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telle pièce ou tel passage de Lamartine évoque irrésistiblement le souvenir, en ait été à proprement parler l’origine. Cette poésie n’est nullement livresque. En multipliant les citations, le savant éditeur n’a pas prétendu que chacun accusât un emprunt du poète : il a voulu seulement indiquer les états d’âme déjà répandus dans la littérature, pour montrer que Lamartine en étoit pénétré et qu’ils agissaient en lui, par l’intérieur, comme les sources de son inspiration. Il ressort de ce travail de comparaison que tous les thèmes lamartiniens étaient déjà des lieux communs de la littérature sentimentale, avant que le poète les eût repris, pour leur donner, comme à autant d’ébauches, une forme définitive. Voici l’Isolement, première pièce et, en quelque sorte, préface du recueil. Il est composé de trois thèmes qui s’enchaînent : un thème pittoresque, la description du paysage au coucher du soleil ; un motif sentimental, l’impression d’universelle solitude causée par l’absence de la femme aimée ; un thème mystique, l’aspiration au bien idéal, vague objet de nos vœux. Or la méditation du soir devant la nature était à la mode depuis un demi-siècle, et déjà liée dans Werther au sentiment de la désespérance. L’idée que, pour un être qui lui manque, le monde est dépeuplé, était dans la Nouvelle Héloïse, dans Delphine et dans René. Enfin Mme de Staël avait dit : « Le sentiment de l’infini est le véritable attribut de l’âme… on ne peut entendre ni le vent dans la forêt, ni les accords délicieux des voix humaines ; on ne peut éprouver l’enchantement de l’éloquence ou de la poésie ; surtout on ne peut aimer avec innocence, avec profondeur, sans être pénétré de religion et d’immortalité. » Voici, placé à la fin du recueil, l’Automne. Chez les anciens et leurs imitateurs de la Renaissance, cette saison des fruits et des vendanges signifiait la richesse, l’abondance et la joie de vivre ; au contraire, chez certains poètes modernes des pays septentrionaux, au XVIIIe siècle, elle est devenue le symbole des mêmes idées tristes que l’hiver éveillait jadis chez les anciens ; chez Millevoye l’idée de la chute des feuilles s’associe à celle de la chute des jours. C’est alors que Lamartine s’empare du sujet : désormais, la Chute des feuilles nous fait l’effet d’une complainte d’ailleurs charmante, l’Automne est le chef-d’œuvre lyrique. Le thème du Golfe de Baïa, une promenade en barque, est dans Rousseau. Celui du Soir, évocation des morts dans tous les bruits et tous les rayons, a été popularisé