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écrivains religieux et les matérialistes, la science et la littérature.

La croyance des Allemands à leur « surhomie » est une sorte de folie des grandeurs provoquée de propos délibéré par une éducation spéciale ; on a fabriqué des surhommes comme on fabrique en Afrique des derviches tourneurs, ou, au cirque, des chevaux faisant le pas espagnol.

Ce but ainsi poursuivi par l’État prussien est avoué sans ambage. Aussi Haugwitz, organisateur de l’enseignement prussien, nous dit sans vergogne : « Nous enseignons ce qui peut nous être utile, que ce soit le vrai ou le faux, peu nous importe ; nous voulons que l’Allemand croie ce qui nous semble nécessaire qu’il croie pour atteindre le but que nous poursuivons. » Qu’eût pensé de cette méthode d’enseignement l’auteur des Provinciales ?

Et, en effet, l’histoire de la civilisation, telle qu’on l’enseigne dans les livres scolaires prussiens, sans parler du reste, est bien fabriquée d’après ce principe. Tout y est made in Germany. Nous avons vu par exemple des ouvrages allemands sur l’histoire de la chimie, où le nom de Lavoisier n’est pas cité ; nous en avons vu sur l’histoire de la photographie, qui ne mentionnent pas Niepce et Daguerre. C’est tout juste si les noms de Claude Bernard, Renan, Pasteur, Champollion, Burnouf, Lamarck, Saint-Hilaire, Cuvier, Laplace, sont cités par eux dans l’histoire des sciences. D’ailleurs les Grecs, Italiotes, Gaulois, Français, comme ils ont de-ci de-là produit quelque chose de bien, sont évidemment des Germains, dégénérés hélas !

Si les Allemands taisent les travaux des autres ou se les attribuent, ce ne peut être par ignorance, — ils ne sont pas ignorans, rien n’échappe à leur documentation méticuleuse et infatigable, — c’est par système.

En somme, on a inoculé au peuple allemand la croyance en sa supériorité, afin de s’en servir comme d’un levier, par les mêmes procédés de propagande que ceux des lanceurs d’élixirs, pilules, pommades, curatifs. Pour tout dire d’un mot, la guerre actuelle n’est que le résultat d’une affaire de publicité habilement lancée.

Les aveux du genre de ceux de Haugwitz, que nous venons de citer, se rencontrent assez fréquemment. Ce même auteur avoue sans ambages qu’il ne croit pas à la supériorité allemande, mais qu’il l’enseigne, afin d’exalter « l’orgueil allemand. » D’autres Allemands n’y croient pas non plus. Goethe écrivait après 1813 : « Les Français ont été nos maîtres en civilisation, et nous avons encore à apprendre d’eux ; personnellement, je leur dois beaucoup. » On sait comment