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faire droit et de consolider par-là son avenir ; il a montré aussi comment, dans l’été 1912, s’était produit un événement capital dans l’histoire de la nationalité arménienne : la réconciliation avec l’Empire russe, symbolisée par la visite au tsar Nicolas du chef religieux et politique de tous les Arméniens, le Catholicos, dont la résidence est à Etchmiatzin, en territoire caucasien russe. Au cours des années 1913 et 1914, les représentans du Catholicos firent agréer aux grandes Puissances et recommander par elles à l’agrément de la Sublime-Porte un projet de réformes et d’organisation administrative des régions habitées par des Arméniens. A la Wilhelmstrasse, on n’accepta qu’après de longues hésitations d’adhérer à l’accord unanime des Cabinets, et encore exigea-t-on l’introduction d’amendemens qui en altéraient l’esprit et en réduisaient la portée. La Porte se résigna à accepter le principe des réformes ; deux inspecteurs européens furent même choisis. Le gouvernement turc se réservait, selon sa tactique traditionnelle, d’annuler dans la pratique, par une mauvaise volonté constante dans l’application, les concessions imposées plutôt qu’obtenues par le concert européen ; il attendait l’heure inévitable où des dissentimens graves entre les grandes Puissances lui permettraient d’éluder ses engagemens et de traiter la question arménienne « à la turque. » Cette heure ne tarda pas à venir : ce fut la grande guerre.

Le Cabinet de Berlin ne s’était prêté que de mauvaise grâce à une politique d’intervention auprès de la Porte en faveur des nationalités non turques ; il craignait que son abstention, sans réussir à faire échouer une politique de sages réformes, que beaucoup de Turcs éclairés considéraient comme indispensable au salut de leur pays, ne permit à la Russie, à la France et à l’Angleterre d’en recueillir, en influence et en crédit, le légitime bénéfice. Sa politique hésitait. Tantôt il flattait les passions centralisatrices des Jeunes-Turcs, tantôt il cherchait à gagner les sympathies des populations, et notamment celles des Arméniens, auxquels il ne ménageait pas les assurances de son bon vouloir[1]. Certains Allemands, les uns, comme le docteur Lepsius, l’auteur du livre bien connu sur les massacres de 1895, dans

  1. On n’a pas oublié la visite qu’à cette époque le commandant du Gœben fit, en grand uniforme, à l’évêque arménien d’Adana, à un moment où couraient des rumeurs de massacre, et les assurances qu’il apporta aux Arméniens de débarquer des marins allemands à la moindre apparence de danger.