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« A Alep et Urfa, on rassemble les caravanes de déportés. D’avril à juillet, il en a passé environ 50 000. Les jeunes filles sont presque toutes emmenées par les soldats ou par les auxiliaires arabes. Un père désespéré m’a supplié de prendre avec moi sa fille âgée de quinze ans, qu’il ne pouvait plus défendre contre les tentatives de viol. Les enfans abandonnés sur la route à la suite de la colonne sont innombrables. Les femmes qui accouchent en route doivent reprendre la marche immédiatement. Près d’Aintab, une femme mit au monde, une nuit, deux jumeaux. Elle dut repartir le lendemain matin ; bientôt, elle dut abandonner les deux enfans sous un buisson ; un peu plus loin, elle tomba elle-même. Une autre accoucha en marchant, dut continuer sa route et bientôt tomba morte. Il y a eu plusieurs cas du même genre entre Marach et Alep.

« Les habitans de Schaar ont eu la permission de prendre leur mobilier. En route, l’ordre fut donné d’abandonner la route pour prendre les chemins de montagne. Il fallut tout laisser sur la route, chars, bœufs, mobilier, etc., et reprendre la marche à pied dans la montagne. Vu la grande chaleur, une quantité de femmes et d’enfans ne tardèrent pas à mourir.

« Des 30 000 déportés de cette région, on n’a aucune nouvelle ; ils ne sont arrivés ni à Alep ni à Urfa… »

Nous pourrions multiplier ces récits, accumuler témoignages sur témoignages, raconter, par exemple, comment, en beaucoup d’endroits, avant de mettre en route les caravanes, et comme pour s’assurer qu’elles n’iraient pas loin, les bourreaux turcs commencèrent par écraser sous les coups de bâton la plante des pieds des hommes : nous n’ajouterions au tableau que des détails. Contentons-nous de renvoyer à quelques publications sérieuses, documentées et impartiales ; tels sont le Rapport du Comité américain de New-York sur les atrocités commises en Arménie, (octobre 1915) et la brochure : Armenian atrocities. The Murder of a nation, par Arnold J. Toynbee, précédée du superbe discours prononcé par lord Bryce à la Chambre des Lords (Londres et New-York, Hodder et Stroughton). Enfin paraîtra prochainement une émouvante et substantielle brochure, dont l’auteur a bien voulu nous communiquer les épreuves : La page la plus noire de l’histoire moderne. Les derniers massacres d’Arménie. Les responsabilités, par M. Herbert Adams Gibbons.