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beau. Nous visitons un vieux palais riche en souvenirs. Par une belle route contournant l’antique lac Fusino, à travers une plaine toute jonchée de localités aux noms médiévaux[1], ayant devant nous les plus hautes montagnes encore couvertes de neige en ce commencement de mai, nous atteignons vers le soir Sulmona, dans une position admirable. Nous devons y passer deux nuits dans une auberge primitive, pourtant possible et sympathique. La patrie d’Ovide disperse ses beaux édifices, ses pittoresques églises dans la plus riche plaine, en face de la magnifique chaîne de la Majella, qui barre l’horizon de son colossal mur de neige. A deux pas de l’hôtel, une très ancienne église, la cathédrale, contient quelques monumens insignes.

Nous consacrons la journée suivante à une longue course dans l’Apennin. Par une route de montagne splendide, à travers des défilés qui ne le cèdent en rien aux plus renommés passages des Alpes, le long de torrens rapides ou de lacs étincelans dans lesquels se mirent de petites cités couvrant de leurs antiques maisons des crêtes prodigieusement escarpées, nous gagnons la localité pittoresque entre toutes de Scanno, presque ignorée il y a dix ans, connue maintenant en Italie comme séjour d’été. Le site est grandiose, à la base d’imposantes montagnes. On est à plus de mille mètres d’altitude. Quand on parcourt, entre deux rangées de sombres maisons pareilles à des forteresses, ces ruelles caillouteuses et grimpantes, on se croit dans l’Italie des XIVe et XVe siècles. Aucune apparence de la vie moderne, sauf, en dehors de la ville, un petit hôtel propre, presque confortable, le seul assurément que nous ayons rencontré dans notre voyage. Une population aux vêtemens archaïques, d’aspect sévère, circule par ces escaliers de rues. On se croirait à mille lieues de la Rome moderne dont un peu plus de deux cents kilomètres nous séparent seulement.

Le contraste est extraordinaire. Les femmes surtout dont beaucoup soutiennent leur antique renommée de beauté, dont la plupart certainement n’ont jamais été au-delà de Sulmona, portent le plus étrange costume noir, si lourd et pesant qu’il semble une évocation du Moyen Age. Leur coiffure, également noire, si bizarre qu’elle est presque impossible à décrire et qu’elle rappelle, dit-on, leur origine albanaise, enveloppe leur

  1. Cette plaine admirable a été depuis bouleversée par l’affreux tremblement de terre tout récent.