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jusqu’au-delà de Bari. Nous quittons avec peine cette vision fantastique que nous ne reverrons sans doute jamais. L’auberge d’Andria n’offrant que peu d’attraits, nous allons passer la nuit à Barletta près du colosse impérial byzantin.

Le lendemain, nous visitons encore la grande et merveilleuse église inachevée de Venosa, elle aussi une des principales cités de l’occupation normande. Ces restes magnifiques se dressent à quelque distance de la ville moderne, au milieu du plus aimable désert, dans une oasis de fleurs, d’arbustes, de plantes grimpantes. On y voit encore les tombes de Roger Guiscard, de son frère Drogon, de sa femme Albérade. Nous passons une nuit très inconfortable dans une infâme auberge de Melfi, en un site austère déjà très montagneux. Melfi a joué un grand rôle dans l’histoire des Normands de Sicile. C’est là que, pour la première fois, dans un pacte fameux, ils se partagèrent le pays conquis. Le lendemain, par une belle route de hautes montagnes, non loin de la sombre vallée de l’Ofanto, non loin du mont Vultur aux vastes forêts mystérieuses, nous franchissons à nouveau la chaîne de l’Apennin. A Bénévent, nous admirons le dôme aux portes de bronzé et le bel arc romain. A Caserte, nous parcourons l’immense palais rival de Versailles. Les jours suivans, nous visitons le mont Cassin terriblement restauré dans le goût allemand, et cette admirable région qui descend de là jusqu’à Rome dans la plus sévère des contrées, toutes ces villes enfin qui ont noms : Arpino, Frosinone, Alatri à l’énorme muraille étrusque, Ferentino, Anagni et sa cathédrale portant sur sa façade la statue de Boniface VIII, la victime du terrible Nogaret ; bien d’autres encore, sans oublier, entre Arpino et Frosinone, l’abbaye cistercienne renommée des SS. Giovanni e Paolo di Casamari, de style gothique primitif bourguignon. Le dernier jour, navrés que ce soit la fin, nous allons, de Frosinone où nous sommes revenus passer la nuit, aux ruines délicieuses de l’abbaye également cistercienne de Fossanova, rivale de celle de Casamari ; nous visitons encore Terracine en son site gracieux entre tous, les romantiques ruines de Ninfa, Gori et son temple antique de si exquises proportions au plus haut du mont. Le soir, nous rentrons à Rome vers la tombée du jour.


GUSTAVE SCHLUMBERGER.