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Telle est succinctement exposée l’institution nouvelle. On est en droit d’en attendre les plus beaux, les plus heureux résultats. Ceux déjà obtenus, ceux qui sont sur le point d’aboutir et à propos desquels un sentiment très naturel nous interdit toute divulgation, en sont de sûrs garans. Qu’il nous suffise de dire que les procédés les plus délicats de la physique sont mis au service de tel problème d’artillerie ou de mines, comme les études chimiques les plus audacieuses au service de la guerre des gaz. Tout cela donnera bientôt des fruits amers au palais allemand.


Puisque « ce temps est sorti de ses gonds, » comme dit Hamlet le fol, puisque la France a dû, pour défendre son flanc lâchement poignardé, s’éveiller du rêve de l’universel Éden qui se réalisera sûrement au temps des cacquerolles, comme dit Rabelais, il faut que les prêtres de la science quittent eux aussi leur tour d’ivoire pour voler au tocsin. Avec eux et par eux, le ministère des Inventions ne réalisera pas de miracle, — il n’y a plus de miracle… depuis la Marne, — mais il fera de la belle, utile et glorieuse besogne française. A sa tête, le géomètre Painlevé suit la noble tradition des Monge, des Arago, des Laplace, des Berthollet, de tous ces grands cerveaux qui ne dédaignèrent point d’abandonner leurs abstractions élégantes et savoureuses, pour s’occuper des affaires publiques, parce que la France saignait et avait besoin d’eux.

A propos des découvertes d’analyse mathématique de celui qui était déjà, il y a seize ans et qui est encore aujourd’hui le plus jeune des membres de l’Institut, notre grand Henri Poincaré a dit : « Quand je vis M. Painlevé entamer la série de ses travaux, j’avais envie de lui crier : Arrêtez-vous ! Vous vous engagez sur une route qui aboutit à un mur infranchissable. Le chemin que suivait notre jeune confrère l’a bien amené au mur que je pressentais, mais ce mur, par un admirable et prodigieux effort, il a réussi à le franchir. Son triomphe est un des plus beaux de la science française. »

Aujourd’hui un nouveau mur, celui que forment là-bas les engins et les poitrines boches, tente l’assaut de son âme ardente et compréhensive. « Cet admirable soldat de la vérité, » ainsi que l’appelait naguère M. Louis Barthou, saura y trouver un triomphe encore plus beau pour la science française. »


CHARLES NORDMANN.