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Jean d’Albret s’enfuit à Lumbier, accompagné de Juan de Jassu, puis en France. Juan rentra bientôt et reprit son poste de conseiller à la Corte Real sous la domination soi-disant provisoire, en réalité définitive, du monarque espagnol. Il revenait servir la Navarre et non se rallier à l’envahisseur, comme tant d’autres commençaient à le faire. On lui laissa sa charge. Mais Ferdinand, sans égard pour cet homme dont il avait apprécié les mérites et dont une des filles avait été dame d’honneur à sa cour, ou parce que ces mérites lui rendaient plus sensible son insoumission, lâcha sur lui les misérables persécutions administratives. Il ordonna qu’on vendît à Soz et à Sanguessa les terres des Xavier. Il parait que la paix du pays le voulait. Elle voulait aussi que le pays fût annexé au royaume de Castille. Quelques mois après ce déni de justice et cette usurpation, le docteur de Jassu, triste et humilié, descendit dans la tombe.

L’année suivante, en 1516, Ferdinand n’ayant guère survécu à sa conquête, un soulèvement eut lieu, où furent compromis quelques parens des Xavier. Le cardinal Ximenès fit démolir le castillo : on abattit le mur d’enceinte ; on découronna la tour ; on ravagea le jardin, qui servait aussi de garenne ; on combla les fossés ; on n’épargna que la casa, mais démunie de ses créneaux. L’enfant vit les pics s’acharner contre ces vieilles pierres glorieuses. Les anciens droits de ses pères s’en allaient avec elles. Les paysans coupaient des arbres, accaparaient des champs, insultaient la veuve de leur seigneur. Les bergers ne payaient plus de droit de passage ou passaient par des chemins interdits, et les trois fils de la señora Maria, Miguel, Juan et François, se lançaient à leur poursuite pour arrêter leurs troupeaux et pour les ramener dans la cour de la abbadia. François avait alors treize ou quatorze ans. Il courut plus tard après d’autres brebis !

La triste situation des Xavier allait encore s’aggraver. L’absence de Charles-Quint, qui était en Allemagne, et l’insurrection des Commaneros, qui força les meilleures troupes castillanes d’abandonner Pampelune, redonnèrent aux Navarrais, fidèles à la France, l’espoir de recouvrer leur indépendance. Les Français assiégèrent Saint-Jean-Pied-de-Port avec une telle furie, lit-on dans une lettre d’un parent et ami des Jassu, « que la ville se rendit bientôt à miséricorde. » Ils marchèrent sur Pampelune. Et nous lisons dans une autre lettre de la même main, citée