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Du moment où François s’est converti jusqu’au moment où il quitte Paris, et même au-delà, il ne se distingue plus du petit cénacle que formaient les premiers disciples d’Ignace. Ils sont six : trois Espagnols, Lainez, Salmeron, Bobadilla ; un Portugais, Simon Rodriguez ; le Savoyard Le Fèvre et lui. Les plus âgés avaient vingt-huit ans ; Ignace, quarante-trois. Tous ont pris leurs grades. Ils représentent, sans l’avoir précisément voulu, le plus bel accord dlu Moyen Age et des temps nouveaux. Celui qui marche à leur tête est sorti des romans de chevalerie pour entrer dans les écoles où s’équipe l’esprit moderne. Ils abritent au sein de l’humanisme les vertus et la ferveur des premières communautés chrétiennes. Les trois ou quatre années qu’ils vécurent ainsi, achevant leurs études, méditant sur ce que Dieu attendait de leur rencontre, mangeant souvent et priant ensemble, durent être les plus douces de leur vie.

Ils ne savaient pas encore exactement ce qu’ils feraient. Ils avaient prononcé leurs vœux de chasteté, de pauvreté, et s’étaient engagés à partir pour Jérusalem où ils se consacreraient au salut des âmes. Mais la prudence d’Ignace avait limité cet engagement. Ils iraient d’abord à Venise, et si, au bout d’un an, ils n’avaient pu s’embarquer, ou si, ayant atteint la Ville Sainte, ils n’y pouvaient rester, ils se rendraient à Rome et se remettraient entre les mains du Souverain Pontife. Ils décidèrent de renouveler solennellement ce triple vœu, le 15 août 1534, jour de la Vierge, devant l’autel de Notre-Dame de Montmartre. Il y avait alors tout près du sommet de Montmartre, sur le versant de Paris, une petite église, la Chapelle du Saint-Martyre, bâtie à l’endroit où l’on croyait que saint Denis et ses compagnons avaient versé leur sang. Elle était à deux étages et se composait de deux chapelles. Celle d’en bas, la plus vénérée, avait un air de souterrain. Il fallait, pour y pénétrer, l’autorisation de l’abbesse des Bénédictines de Montmartre ; et la sous-sacristine, la Mère Perrette Rouillard, qui vécut jusqu’à cent ans, se rappela toujours avec orgueil le beau matin d’août où elle remit les clefs à Ignace de Loyola. Le Père Le Fèvre célébra la messe. Ils étaient seuls. « Avant de donner la sainte Eucharistie à ses compagnons, raconte Rodriguez, il prit l’hostie entre ses doigts et se tourna vers eux. Alors, le cœur fixé en Dieu, agenouillé sur le pavé de la chapelle, chacun, sans quitter sa place, prononça ses vœux d’une voix claire, de manière à être entendu de tous ; puis ils