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de Constance, des ministres luthériens, avertis de leur passage, accouraient à l’auberge, et, impatiens d’en venir aux argumentations, ne leur permettaient point de souffler. A peine avaient-ils déposé leur sac et leur bourdon, la controverse commençait. Ils ne l’avaient pas cherchée ; mais ils ne s’y dérobaient point. Il nous semble les voir dans une salle pareille à celle de L’Ourse Noire, que les disputes de Luther et de Carlostadt ont rendue si fameuse. D’un côté, ces jeunes hommes déjà émaciés par les jeûnes, épuisés par la marche, gardant sous leurs longs habits crottés leur politesse élégante ; le fougueux Bobadilla est le seul peut-être à s’en départir quelquefois. De l’autre, ces pasteurs allemands bien en chair, suivis des fortes têtes de leur paroisse, et qui provoquent l’adversaire comme les lutteurs tendent le caleçon. L’aubergiste, les servantes immobiles, les buveurs qui ont reposé leurs brocs sur les tables, les voisins pressés à la porte, des enfans entre leurs jambes, assistent à la joute où l’anarchie sentimentale du génie germanique reçoit les traits vifs et directs du génie latin. Les heures passent. L’ombre descend sur les figures. Le théologien d’Allemagne s’arrête, non parce qu’il se sent battu, mais parce qu’il a faim. On reprendra la discussion après souper. Et pourquoi ne souperait-on pas ensemble ? Le tombeur de papistes s’est détendu. Une grosse jovialité l’épanouit à l’idée de la soupe fumante. Il veut les emmener chez lui, les avoir à sa table, leur montrer ses livres et ses enfans, libros et liberos. Il rit. Vous entendez son rire. Nos voyageurs déclinent poliment l’invitation. Le théologien est allé souper. Il revient alourdi, l’estomac mécontent, le front mauvais. La réserve de ces étrangers, leur refus de trinquer avec lui, lui semblent incompréhensibles et vexatoires. La controverse repart, plus impérieuse du côté de nos jeunes hommes, plus essoufflée et plus aigre du côté de l’Allemand. Il n’est pas de force à lutter contre ces intelligences souples, rapides et qu’ont aiguisées les écoles de Paris. Mais, dès qu’il se sent broncher, il se rattrape par des insultes et des menaces. La brutalité de l’animal germanique fait crever le masque du théologien. « Qu’ils déguerpissent, ou, demain, la prison ! » Il sort de l’auberge, la tête en avant, emportant sa tempête dans les plis de son manteau et entraînant ses acolytes. François se rappellera sans doute ces scènes des hôtelleries allemandes, quand plus tard au Japon son arrivée dans les maisons de thé et