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espérances qu’il concevait à l’entendre. D’autres lui disaient : « Si aux Indes, comme ici, vous procédez par des voies à tel point écartées de toute ombre d’avarice, nul doute qu’en peu d’années, lorsqu’on aura vu et reconnu que vous cherchez uniquement le salut des âmes, vous n’ayez converti à la foi de Jésus-Christ deux ou trois royaumes d’infidèles. » Ces paroles, plus précises et plus sages, laissaient supposer que les premières Missions avaient déjà besoin d’être réformées. François se mit en quête de prêtres qui voulussent l’accompagner pour le seul service de Dieu, et que nul ne pût soupçonner « de poursuivre moins le spirituel que le temporel. » Ils n’étaient pas faciles à trouver. De fait, il n’en emmena que deux : l’un, un jeune prêtre de Camerino, qui ne sera jamais nommé que Micer Paul, et qui, la veille du jour où Rodriguez quittait Rome, s’était offert à Ignace ; l’autre, un brave homme zélé, mais très obtus, malgré quelques études à l’Université de Paris, Mansilhas. François comptait sur l’aide de Dieu pour le faire ordonner aux Indes, à titre de pauvreté volontaire et de très suffisante sufficientissimæ simplicitatis.

Et voici maintenant que Jean III hésitait à laisser partir ces hommes rares que la Providence lui avait envoyés. Il pensa que le bien de son royaume importait encore plus que celui des rois de Ceylan ou des sultans de Ternate et que le meilleur moyen qu’on eût de les amener à la connaissance de la vraie foi était peut-être de n’expédier chez eux que de solides chrétiens façonnés par des mains aussi pieuses et aussi fermes. Le rêve de François allait mourir sur le rivage. Les hésitations du Roi furent portées jusqu’à Rome, qui ne voulut rien décider. Mais Ignace vint discrètement au secours de son ami dont il devinait les inquiétudes. Il proposa que Rodriguez restât au Portugal et que François, déjà élevé par le Pape à la dignité de nonce apostolique, partit. Le Roi se rallia à cette idée. Il chargea don Antonio Ataide, son favori, de s’enquérir près de François de ce qui lui serait nécessaire pour le voyage. Cet Ataïde, premier comte de Castanheira, était un personnage fastueux et dur, celui-là même dont le Camoens aima la sœur et qui le fit exiler à Santarem, parce que le jeune homme était pauvre. François n’accepta qu’une soutane de laine en prévision des froids du Cap de Bonne-Espérance, et il refusa un serviteur. « Il le faut pour votre dignité, lui dit le comte. Vous ne pouvez pas laver votre linge ni vous occuper du pot-au-feu. »