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Mais, au 2 août 1914, un fait dominait la situation : la Belgique avait le régime de la neutralité conventionnelle garantie et nous devions nous laisser guider par le seul souci d’en remplir les obligations.

Il faut, pour être sincère, avouer que l’éventualité qui se présenta ce jour-là fut celle qui nous avait paru, d’avance, la plus invraisemblable, parce que trop brutale et trop simple : celle d’une Puissance garante de notre neutralité nous sollicitant directement et formellement de renoncer en sa faveur à la neutralité garantie par elle-même, et nous menaçant de toute sa fureur destructive, si nous osions nous en tenir à l’accomplissement pur et simple d’un devoir qui, dans ces conditions, apparaissait si clairement qu’il n’était vraiment pas besoin de spécialistes du droit des gens pour l’indiquer au pays !

L’ultimatum allemand essayait, à vrai dire, de justifier l’action du gouvernement impérial par une lourde et maladroite insinuation contre la partie adverse. Il débutait par l’affirmation « que le gouvernement impérial savait de source sûre l’intention de la France de marcher sur l’Allemagne par le territoire belge. » Mais c’était là de façon si évidente un prétexte, cela constituait si outrageusement le contrepied de la vérité, c’était en contradiction si flagrante avec la déclaration solennelle que la France nous avait faite la veille comme nous le verrons plus loin, — avec les assurances que les dirigeans de la République avaient si souvent répétées au cours des dernières années, et avec ce que l’on connaissait des mouvemens des troupes françaises, — que le gouvernement allemand n’a pu se faire un instant illusion sur le degré de créance que son affirmation rencontrerait en Belgique.

Il est certain que tous ceux qui ont lu la note allemande le soir du 2 août ou plus tard ont simplement considéré son paragraphe premier comme ne devant pas arrêter un moment leur attention, disons le mot, comme non écrit… L’attentat contre notre neutralité garantie, attentat direct et sans l’ombre d’une excuse valable, sautait aux yeux de tous. Aussi, — Je dois l’écrire, parce que c’est la vérité, bien que cela paraisse paradoxal, — ce fut un sentiment de véritable soulagement qui succéda dans mon esprit, le soir du 2 août, au premier mouvement de stupeur provoqué par la lecture de l’ultimatum