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peut-être… — le culte de la nation pour son indépendance et pour les institutions que, librement, elle s’était données quatre-vingt-quatre ans auparavant.

Ceux qui ont assisté à cette scène ne l’oublieront jamais, et rares sont ceux qui, l’ayant vue, pourraient avec sincérité prétendre qu’au passage du Roi leurs larmes n’ont pas coulé, tandis qu’ils criaient éperdument leur amour de la Patrie : « Vive le Roi ! Vive la Belgique indépendante ! »

À la fenêtre où j’étais à ce moment, et aux autres du même salon, se trouvaient groupés la plupart des hauts fonctionnaires du département. Des employés, des huissiers s’étaient mêlés à eux. Quelques dames s’étaient glissées jusque-là et joignaient leurs acclamations aux nôtres… La comtesse X…, femme d’un jeune officier des Guides qui devait périr glorieusement face à l’ennemi quelques jours plus tard, était parmi les plus émues. Au milieu de la salle, un peu à l’écart, se tenait debout le conseiller de la légation d’Autriche-Hongrie. Il était là par hasard, étant venu faire de la part de son gouvernement quelque communication, peut-être tout à fait étrangère au drame du moment[1]. Ce diplomate n’avait pu se défendre contre l’émotion universelle qui l’entourait. Je ne l’aperçus qu’en me retournant quand le Roi fut entré au Parlement. Il s’essuyait les yeux…

Dehors, les ovations ne cessaient point. Devant le Parc, le général de Coune, qui commandait la garde civique, se soulevant sur ses étriers, ranimait encore les acclamations de la foule par ses propres vivats enthousiastes, ponctués de moulinets de son épée, alors que le Roi avait disparu depuis longtemps. Oh ! la sainte et inoubliable émotion que vécurent ce matin-là les Belges qui eurent le privilège d’assister à cette triomphale apothéose de la foi jurée, à cette affirmation grandiose de la volonté de vivre de tout un peuple !…

Je n’ai pas assisté à l’historique séance des Chambres réunies, mais un témoin m’a dit qu’il serait impossible d’en décrire l’incomparable grandeur.

Dans l’assemblée frémissante où le Roi put constater « qu’il n’y avait plus qu’un parti, celui de la Patrie, » se détachaient

  1. Nous ne fûmes en guerre officiellement avec l’Autriche-Hongrie que le 28 août, bien que, — sans que nous en fussions informés, — la grosse artillerie de ce pays eût contribué à réduire les forts de Namur tombés le 24 et le 25 !