Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 32.djvu/111

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
LEUR ART

Quel est l’Art de ces gens-là ? Et qu’ont bien pu faire les artistes, signataires de l’Appel au monde civilisé, pour remplacer, dans le patrimoine esthétique des hommes, les merveilles qu’ils ont biffées du portail de Reims, — je veux dire les Behrens, les Klinger, les Stuck, les Trubner, les Hildebrand, sans parler de leurs ainés, signataires du même manifeste, les Hans Thoma, les Gebhardt. les Kaulbach, les Kalkreuth, les Liebermann, les Defregger ? Beaucoup de gens ne soupçonnaient pas leur existence ; ils viennent, il y a un an et demi, de la révéler par un procédé infaillible : celui de cette suffragette qui lacéra la Vénus au miroir, ou de ce vagabond qui déroba la Joconde. C’est de la notoriété, si ce n’est pas de la gloire, et l’on demeure ébahi de leur prestesse à l’acquérir. Il y a des ouvriers qui cherchent à se faire connaître par la production de quelque œuvre : le monde surpris n’a su les noms de ceux-là que par la destruction d’un chef-d’œuvre.

Mais comme, après tout, il ne suffit pas de lacérer une toile ou de mutiler une statue pour être réputé « artiste, » — ni de se solidariser avec ceux qui l’ont fait, — ces Vertreter deutscher Kunst, comme ils s’intitulent eux-mêmes, doivent quelque part, en un temps quelconque, avoir façonné quelque chose, des objets réputés « objets d’art » par eux et leurs amis. Ils ont dû modeler des figures, dont la place leur paraissait marquée au portail de Reims, au lieu de la Reine de Saba, du Saint Rémy, du Saint Thierry et de l’Ange de Saint-Nicaise. Ils ont dû peindre des panneaux pour reposer leurs yeux que fatiguaient nos verrières, réduites par leurs soins en poussière. Peut-être, avec ce goût de l’organisation préventive qui les distingue.