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tête ronde de feldwebel, l’œil rond, extasié, impérieux, plus grand, jouerait les Siegfried, tous deux sculpteurs autant que peintres et décorateurs autant que sculpteurs, menant tout de front, visant à tout, appelés artistes et maîtres seulement en Allemagne, répondant à ce que, dans tous les autres pays, on honore du nom d’ « amateur. »

Ils se sont partagé le royaume de Bœcklin : Stuck a pris la terre et Klinger a pris la mer. Tous deux ont gardé le centaure. Seulement, Stuck lui donne quelques nouveaux agrémens. Il lui met quelquefois une crinière, il lui rase la tête à la manière « hygiénique » allemande et lui ôte la barbe qu’il portait au Parthénon. Il en fait un cerf que poursuit un centaure, chasseur et archer. Il a même imaginé un centaure nègre, une sorte de bon géant courtisant une jeune blanche, au grand ébahissement de ses compagnes. Il a fait des centauresses blondes fuyant, les cheveux dénoués et en riant comme des folles, la poursuite des centaures mâles, ou encore, attendant paisiblement, couchées comme un cheval dans son box, l’issue de la lutte entre deux rivaux. Tous ces centaures ont appris à galoper, à l’école de M. Muybridge, ou tout au moins, de M. Marey. Ils respectent les enseignemens de la chronophotographie. Aussi offrent-ils un mélange de réalisme, de modernité, d’archaïsme, de pédantisme et de fantaisie, qui atteint la plus haute bouffonnerie.

Klinger, lui, a conduit son centaure dans la mer, parmi les néréides et les ordinaires chevaux marins, les mouettes et les goélands, l’a englouti à demi, dans les vagues, échevelé dans le vent du large, balafré d’écume. Telles sont, notamment, ses peintures décoratives pour la villa Albers, conservées dans les musées de Berlin et de Hambourg. Il est parvenu, ainsi, à insuffler à son Chiron, ou à son Nessus, une vie brutale et joyeuse qui, au premier abord, séduit. L’attrait de la nature méridionale pour l’homme du Nord y éclate. C’est une ruée vers la mer bleue, l’horizon d’or dentelé par l’étrave des caps, la Méditerranée convoitée au loin, par delà les lacs trop calmes et trop froids, par delà les Chiemsee et les Constance, l’art qui cherche à déboucher en « eau chaude, » comme l’Empire lui-même, et y tend d’un effort vertigineux.

Dans tout cela, qu’est devenue la vieille Allemagne, la vie paisible, les drames ou les joies intimes de la famille, les rêveries