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travail, après la visite et la fouille minutieuse que j’ai prévues, on nous rassemble derrière les grilles de la caserne, et l’on nous mène à la gare sous la conduite d’une section de landsturm. Nous sommes peu nombreux, une dizaine environ, mais ce chiffre va s’augmenter sans cesse au cours de notre longue traversée de l’Allemagne du Sud, si bien qu’il dépassera quatre cents à notre arrivée à Constance. Le train est composé de voitures de quatrième classe à notre usage, d’un wagon de seconde pour les médecins et provient du camp voisin de Liegnitz. Par les portières de joyeuses rumeurs nous accueillent : ce sont d’autres infirmiers, libérés comme nous, qui saluent notre arrivée.

La machine s’ébranle. Bautzen diminue, s’estompe, puis disparaît à l’horizon. Nous traversons des champs, des plaines coupées de vastes landes, d’opaques forêts de sapins. Un babil désordonné emplit d’un pépiement de volière la caisse roulante qui nous cahote sans pitié. Jamais époux partant en voyage de noces, après un mariage d’amour, n’ont vécu plus délicieuses minutes, goûté extase comparable à la nôtre. Notre confort est cependant bien rudimentaire, le trajet s’annonce long et fatigant, le sommeil presque impossible sur les dures banquettes de bois où nous nous tenons entassés ; n’importe, nous allons vers la France ; cet air que nous respirons, c’est celui de la liberté, bientôt celui de la Patrie !

Dresde, premier et long arrêt. Sous le hall de la vaste gare, nous n’apercevons rien de la Florence du Nord : la belle ordonnance de ses avenues nous échappe, comme la splendeur de ses édifices. Nous sommes autorisés à descendre sur le quai où nous pouvons acheter du tabac, du pain, des saucisses et autres victuailles. Il en sera de même dans toutes les villes où nous passerons.

Chemnitz, Bamberg, Erlangen, Auxbach, Ulm, à chaque station s’allonge notre train accru de wagons nouveaux. La chaleur et la fatigue aidant, je somnole tant bien que mal, et c’est dans une demi-torpeur que j’entrevois les campagnes bavaroises semées de champs de blé, de seigle, d’avoine où s’affairent à la moisson des prisonniers français et russes qui agitent leurs coiffures à notre passage.

Au matin du quatrième jour, nous apercevons enfin les flots agités d’un grand lac. Quelques tours de roue encore ; la flèche élancée d’une église gothique poignarde le ciel : c’est Constance,