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prodiguent à chacun les marques de la plus touchante sollicitude. Nous remercions de notre mieux les organisateurs, et en signe d’hommage, avant le départ, sur l’ordre des médecins qui nous commandent, nous défilons au pas et en rangs devant eux.

A Berne, où nous arrivons à onze heures, j’ai la surprise d’entendre prononcer mon nom et descends aussitôt m’enquérir. Une dame, au milieu d’un groupe d’infirmières, m’adresse quelques paroles de bienvenue et m’offre une boîte de cigarettes enrubannées de faveurs tricolores. C’est une amie de ma famille, Mme la colonelle I..., femme de l’ex-commandant en chef des forces helvétiques. Tout confus d’un pareil honneur, je lui témoigne ma respectueuse gratitude. Je crois devoir aussi lui exprimer les sentimens de profonde reconnaissance envers la Suisse, qui remplissent le cœur des prisonniers français. Pour être improvisée vaille que vaille, ma petite harangue a du moins le mérite de la sincérité, car c’est aux efforts obstinés de cette généreuse nation, au dévouement inlassable de ses représentans et de ses envoyés que la plupart d’entre nous doivent le salut, le bonheur de revoir leur patrie.

Le temps s’est mis à la pluie et nous franchissons la frontière, sans nous en apercevoir, sous des cataractes. La vue d’un peloton de territoriaux, rendant les honneurs à Bellegarde, nous fait enfin comprendre que nous sommes en France. Aussitôt, rythmée avec ferveur par sept cents voix, éclate à nouveau la Marseillaise, comme un hymne d’orgueil, d’allégresse et d’amour.

J’épargnerai au lecteur le récit de notre arrivée à Lyon, de la réception qui s’ensuivit. Les journaux ont maintes fois fourni à cet égard toutes les précisions désirables. Congrûment abreuvés de Champagne et de discours officiels, nous fûmes ensuite coucher à la caserne des cuirassiers. Après une nuit réparatrice, mon premier soin fut d’aller faire couper la barbe de fleuve qui me couvrait les joues. Le train ne partait que l’après-midi ; j’eus donc tout loisir d’aller savourer un succulent chateaubriand aux pommes, mon rêve inexaucé depuis un an bientôt !

Dix heures plus tard, nous entrions en gare de Lyon. Je saute dans les bras de mon frère, blessé en Alsace et convalescent, que j’aperçois sur le quai. Nous nous étreignons longuement. Il y a onze mois et vingt-deux jours que j’ai quitté Paris.


A. AUGUSTIN-THIERRY.