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l’aimait comme une fille belle et séduisante qui fait honneur à ceux qui l’ont élevée. Il la fréquentait, en bon bibliophile, à la fois avec passion et avec respect. Sa vie était simple, intelligente et noble. Elle rappelait celle des gentilshommes lettrés de la Renaissance, qui mettaient et qui maintenaient au même rang l’humanité, la civilité, la bonne nourriture de l’esprit et l’honneur.

Il était dans ses relations la bonne grâce même et la sensibilité et le tact. Il entrait dans la confiance de son interlocuteur comme de plain-pied et par les chemins les plus courts. Sa politesse restait diplomatique par une réserve de bon goût, mais elle était sans froideur et au contraire se mêlait d’une sensibilité qui, quoique se contenant, ne s’effaçait pas. Tous ses propos et tous ses gestes respiraient la bienveillance d’une âme droite, généreuse et hospitalière. Un lettré me disait en souriant : « Il aurait été l’ami de Cicéron. Il me rappelle Atticus. »

Il s’était présenté aux électeurs de son pays, qui l’envoyèrent d’abord à la Chambre, puis au Sénat, et qui finirent, le trouvant sans doute trop sage, par l’abandonner. Il n’aimait pas beaucoup la tribune et il parla peu. Mais je me souviens encore de l’admiration d’un sénateur, homme de grand goût du reste, qui venait d’entendre, ‘comme par accident, un discours de Francis Charmes : « C’était, me disait-il, d’une sûreté de parole, d’une netteté, d’une précision et aussi d’une cadence pour ainsi dire naturelle et spontanée, à ne rien souhaiter ni imaginer de mieux. Les grands orateurs anglais doivent parler ainsi. » Il n’en revenait pas, et il y revenait toujours. Moi qui, aux Débats, l’entendais quelquefois exposer une opinion ou proposer un projet avec sa parole limpide, j’étais celui à qui l’on n’apprend rien.

La vérité est que Francis Charmes à la Chambre et au Sénat, comme partout où il passait, eut une grande influence par ses conversations, par ses propos, par la brève réponse à une question posée, par une réflexion, par une question même et une manière d’interroger que j’ai bien connue et qui était une manière de suggérer. Il a semé autour de lui la meilleure graine du monde. Il a incliné les esprits, bien des fois, du meilleur côté par une pression presque insensible. Il est à regretter que l’horreur du bruit l’ait empêché de prendre dans les assemblées cette autorité plus apparente et plus en relief qui mène aux plus hauts emplois. Il eût été un ministre singulièrement sage,