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c’est la nature même. Devant une opinion violente comme devant un acte violent, je ne puis pas m’empêcher de croire que j’ai affaire à un homme qui se force, qui s’excite et qui sort de son caractère. La nature est lente et calme. La violence est contre nature. » Une autre fois, il me disait : « Ce que je suis ? Mais je suis possibiliste. J’envisage toujours ce qui peut se faire, et j’écarte tout ce qui est impraticable ou extrêmement difficile à réaliser.

« — L’impossible est infini ; mais le possible est encore immense.

« — Précisément ! C’est ce qu’or, ne croit pas généralement : mais il y a beaucoup de choix dans le domaine des possibles. Et voici à quoi je tâche : dans le champ du possible, aviser le meilleur.

« — Et tu le dis en vers.

« — Oh ! comme disait de Maistre, la rime n’y est pas, mais la raison suffit. »

La raison lui suffisait avec beaucoup d’habileté à la mettre en lumière, et beaucoup d’esprit pour la rendre aimable et engageante.

Sa conversation laissait toujours dans l’esprit cette impression, d’abord qu’elle avait été trop courte, ensuite qu’il fallait la remémorer, la méditer, la classer et la semer en bonne place dans son esprit comme germe, pour l’avenir, de pensées justes et d’opinions judicieuses. Il inspirait l’idée de profiter des largesses de son esprit et de revenir les provoquer ou les solliciter à nouveau. Personne, avec une parfaite discrétion, n’a plus, malgré lui, excité les autres à une certaine indiscrétion à son égard.

C’était un sage. Aucun homme ne m’a donné du sage qu’ont rêvé les philosophes antiques une idée plus nette, ni une plus exacte réalisation. Il semblait vivre pour que la droiture, la rectitude, la modération, les tempéramens, le juste équilibre, eussent une image sensible et persistante.

C’était un sage, et il faisait aimer la sagesse et il la faisait, un temps, croire facile, quoique l’on comprit vite en y réfléchissant quelle réussite d’élémens multiples et divers était ce caractère si excellemment exceptionnel.

C’était un sage, mais qui, Dieu merci, ne croyait pas que le abstine fût la moitié de la sagesse, ni que même il en fût partie