Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 32.djvu/299

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
295
VISITES AU FRONT.

la police. Le principal hôtel de Verdun était bien moins encombré que la Haute-Mère-Dieu de Châlons. Bon nombre d’officiers y prennent leurs repas, mais l’ambiance est tout autre ; ici le silence et comme un recueillement passif. Toute la vie de Verdun paraissait concentrée dans ses hôpitaux. À mesure que la nuit tombait, les rues devenaient plus désertes encore et la canonnade paraissait se rapprocher et redoubler de violence.

Ce premier soir, le sentiment d’isolement était tel que chaque écho renvoyé des collines par delà les remparts évoquait une vision particulière de destruction. Puis, soudain, au moment où l’imagination tendue semblait avoir atteint la suprême limite d’endurance, ce tonnerre lugubre prit fin. Un instant après, sous ma fenêtre, un pigeon se mit à roucouler ; et pendant toute la nuit, j’entendis alterner étrangement le roucoulement du pigeon et le roulement du canon.

On nous avait avertis, à Sainte-Menehould, que, pour des raisons d’ordre militaire, nous devrions suivre, pour retourner à Châlons, une route située plus au Sud. En quittant Verdun le lendemain, nous prîmes donc la direction de Bar-le-Duc, à travers un beau pays assez accidenté, où la guerre n’avait laissé d’autre trace que l’abandon des villages, uniquement occupés par la troupe.

Après Verdun, le bruit du canon devint de moins en moins distinct et cessa finalement tout à fait. Nous avions l’impression de nous éloigner de plus en plus de la fournaise pour rentrer dans un monde normal ; mais, à un carrefour, nous vîmes sur un poteau un nom qui, brusquement, nous ramena en pleine guerre : Saint-Mihiel, 18 kilomètres.

Saint-Mihiel, l’écueil, le point dangereux de la région, le défaut de la cuirasse, Saint-Mihiel n’était qu’à quelques kilomètres ! Un quart d’heure d’auto sur ce chemin d’aspect paisible, et nous nous trouverions au milieu des uniformes gris et des casques à pointe…

Le souvenir de ce poteau nous a suivis pendant bien des kilomètres, comme l’ombre d’un nuage gros de tempête assombrissant parfois tout un paysage.

Rien de cette ombre ne s’étendait sur Bar-le-Duc. La charmante petite ville était assoupie dans son calme habituel. On rencontrait peu de soldats ; c’était la vie civile qui prévalait.