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les fautes de jugement et de pronostic de l’Allemagne, depuis vingt-cinq ans, ne se comptent pas.

Autant le prince de Bismarck avait pris soin d’empêcher, de prévenir le rapprochement, l’union entre la France, la Russie, l’Angleterre, autant, depuis 1890 et surtout depuis 1904, l’Allemagne de Guillaume II a, par la découverte de ses desseins, par ses faux calculs, par l’infatuation de son orgueil et l’ostentation de sa force, resserré elle-même les liens entre les Puissances que liguait la communauté du péril et de la menace. Son premier mouvement, d’abord envers l’alliance franco-russe, puis envers l’entente cordiale de l’Angleterre et de la France, avait été de méconnaître, de nier la réalité, ou tout au moins la portée d’actes qu’elle n’admettait pas, qui choquaient sa suffisance, qui risquaient de gêner, de déconcerter ses propres plans. Elle ne s’était résignée à l’alliance franco-russe que parce qu’elle l’avait présumée impuissante, et non sans chercher constamment, soit à intervenir en tiers entre les alliés, soit à susciter à chacun d’eux des difficultés et des embarras. Elle a cru de même pouvoir étouffer dans l’œuf l’entente cordiale anglo-française en s’opposant à notre politique marocaine. Elle n’a pas craint alors de prétendre s’immiscer jusque dans nos affaires intérieures et dans celles de l’Angleterre et peser sur l’attitude, sur les résolutions des partis dans les deux pays. Elle imagina un instant de se plaindre des tentatives d’encerclement qu’elle accusait le roi Edouard VII et la France de machiner contre elle. Puis, et sur la foi de succès qu’elle se vantait d’avoir remportés en soutenant l’Autriche-Hongrie dans la campagne d’annexion de la Bosnie et de l’Herzégovine, elle préféra penser elle-même et accréditer dans le monde l’idée que la manœuvre d’encerclement avait échoué, que désormais elle était, avec son brillant second, maitresse de l’heure et que la Triple Entente n’était qu’une combinaison diplomatique impropre à l’action et aux sanctions. A la veille de la guerre qu’elle préparait et préméditait avec tant d’ardeur et d’espoir, elle se demandait encore si cette guerre, elle aurait besoin de la faire, tant il lui semblait que les trois Puissances de l’Entente avaient, chacune pour des raisons différentes, le désir, la volonté de l’éviter. M. de Tchirsky à Vienne, le prince Lichnowski à Londres, M. de Schœn, à Paris, le comte Pourtalès, à Saint-Pétersbourg, étaient