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TABLEAUX DU FRONT RUSSE

DU FRONT RUSSE DE GALICIE
DÉCEMBRE 1915


I. — SOUS LA NEIGE QUI TOMBE

Le train sanitaire de la grande-duchesse Olga Alexandrovna, sœur du Tsar, vient d’arriver à P..., dernière gare avant la ligne de feu. La neige tombe à gros flocons, invraisemblablement blanche, plus blanche qu’ailleurs, semble-t-il. L’horizon est bas, cotonneux, rétréci... Au delà d’un certain rayon, très court, on n’aperçoit plus qu’un mouvant rideau de mousseline. Dans ce cercle étroit, des silhouettes vont et viennent en un mouvement continuel et silencieux : capotes brunes, capuchons relevés, papaks de fourrure, d’autant plus sombres que le fond du tableau leur fait un écran plus clair. La neige étouffe le bruit des pas, et le son des voix est comme assourdi... Un paysan en touloupe marron, ceinturé de rouge, passe, mêlé aux soldats, portant sur le bras un coq, la tête et le cou rentrés dans son col de plumes... Devant l’escalier de bois de la petite gare, un planton est de service, si immobile qu’on le dirait figé là pour l’éternité. Ses pieds s’enfoncent sous l’épais tapis blanc, comme pour permettre d’en évaluer la profondeur et, sur sa capote sombre, la neige a formé peu à peu un éblouissant collet d’hermine... Un bruit intermittent et sourd, qui est peut-être le canon, perce l’horizon du côté du fleuve...