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Ce fut dit si simplement !...

Cependant le Parisien acheva son récit.

Blessé, il était resté couché sur le champ de bataille, tandis que les balles pleuvaient... et les obus.

— On sait bien que ça va être votre tour... Le prochain est pour moi... Ça va être fini. Alors, on tâche de se cacher, de se tasser par terre, de s’abriter comme on peut. Et puis on se traîne...

Lui s’était traîné jusqu’à une ferme abandonnée où il resta trois jours et deux nuits, seul avec trois officiers qui moururent les uns après les autres, et un caporal fou, blessé au ventre, qui, tout en riant, plongeait sa main dans sa blessure, et secouait sur eux des gouttes de sang.

Des soldats allemands qui venaient de se battre les avaient un peu soignés. Puis ils partirent. Plus tard, des infirmiers français survinrent. On le mit dans le lit encore chaud du dernier officier qui venait de mourir. Mais les infirmiers s’en allèrent et ne revinrent pas. Il fut de nouveau seul avec les trois cadavres et l’aliéné. Il tremblait que le caporal fou ne le piétinât dans son lit. Les heures étaient longues. A la fin, le caporal mourut.

Il se tait. Et tout à coup, il a de nouveau son rire si jeune, si joyeux :

— Ah ! c’est bon de rentrer au pays ! Et un jour de victoire encore !

Et j’admire ce garçon qui a gardé son rire d’autrefois, qui peut rire comme avant...

La sonnerie des clairons. Je m’arrache au train qui va partir. Insensiblement, il se met en marche. Les visages sourians nous saluent une dernière fois. Voici le wagon des tuberculeux... Ah ! toutes ces fleurs... Et la face souffrante du garçon de vingt ans aux deux jambes coupées... Et celui qui rêve d’être aviateur... Et le Parisien aux souvenirs effroyables. On ne voit déjà plus que des drapeaux flottant aux portières... C’est fini. Un rectangle noir, qui décroit dans la fumée, disparaît.

C’est toujours le même déchirement profond lorsqu’on voit s’éloigner ce convoi de mutilés... Heure par heure, n’avons-nous pas tout su de leur calvaire ? Et les figures des blessés que nous avons soignés défilent devant nos yeux brouillés de larmes, à côté de ces visages inconnus et pourtant familiers. N’avons-nous