Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 32.djvu/453

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nous en admirerons la sombre, ardente et pathétique beauté.

Égale, mais contraire, est la beauté de la romance qui suit, chef-d’œuvre de rêverie paisible, de pure, chaste et sereine tendresse. « Dieux ! que ne suis-je assise à l’ombre des forêts ! » Si ce n’est que l’air célèbre de Mathilde se chante debout, on croirait voir, entendre s’accomplir ici le vœu de la reine tragique, en faveur de la princesse d’opéra. Chaque mesure, y compris les cinq ou six premières, d’orchestre seul, avant le chant, est un soupir, une caresse. Chacune ajoute une douceur nouvelle à l’incessante flatterie des triolets balancés et berceurs. Le seul Mozart, avant Rossini, le Rossini d’une page semblable, avait dessiné, d’une main aussi légère, d’aussi gracieux et suaves contours. Ici, de nouveau, que sont, que servent les paroles ! Ou plutôt, comment se peut-il que, par de telles paroles, la musique ne soit pas desservie ! Passe encore pour la première strophe. Mais la seconde ! La voici :


Toi, du berger astre doux et timide,
Qui sur mes pas vas semant tes reflets,
Ah ! sois aussi mon étoile et mon guide :
Comme lui tes rayons sont discrets.


Comme lui. « Qui, lui ? », demandait autrefois notre grammaire latine. Alors triomphent déjà les ennemis de la musique, ceux qui la diffament, ou qui la nient, parce qu’ils ne l’entendent point. « Vous le voyez, la célèbre boutade a raison, et ce qui ne vaut pas la peine d’être dit, on le chante. » Mais non, et bien plutôt ce qui se chante ici, c’est ce que de pauvres, d’ineptes paroles ne savent pas dire, ce qu’elles ne feraient, — toutes seules, — que dénaturer et trahir. Tout le sujet, toute la pensée et tout le sentiment, toute la poésie et toute la beauté, tout cela, qui n’existe pas dans les mots et par eux, ne vit, d’une vie supérieure, idéale, que dans et par les sons.

Arrive Arnold, et plus étonnante encore est la transfiguration de ce qu’il dit par ce qu’il chante. Il dit, ce paysan, à cette princesse, il dit, entre autres choses, les choses que voici :


Il faut parler, il faut, en ce moment
Si cruel et si doux, si dangereux peut-être,
Que la fille des rois apprenne à me connaître.
J’ose le dire avec un noble orgueil,
Pour vous le ciel m’avait fait naître ;
D’un préjugé fatal j’ai mesuré l’écueil :
Il s’élève entre nous de toute sa puissance ;
Je puis le respecter, mais c’est en votre absence.