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de le redire, en un sujet suisse, Rossini, préoccupé (pour une fois) de la couleur locale, ne pouvait négliger un élément qui s’imposait : le ranz des vaches. Les ranz plutôt, car ils sont nombreux et variés. Le ranz (un mot dérivé peut-être de l’allemand Reihe, suite, ou file), le ranz est la mélodie que sonnent les bergers pour faire rentrer leurs bêtes une à une : la Marseillaise des bestiaux, disait Labiche, ou plutôt leur Chant du départ. On trouve quelques détails sur les ranz dans un ancien et curieux opuscule : Recherches sur les ranz des vaches, par Tarenne (1813). L’auteur y signale un ranz imprimé pour la première fois dans une Dissertation sur la nostalgie, de Zwinger (Bâle, 1710). Il en indique un autre, noté par Jean-Jacques Rousseau dans son Dictionnaire de musique. Un écrivain plus récent, M. van der Straeten (De la mélodie populaire dans le « Guillaume Tell » de Rossini) a recherché consciencieusement dans l’opéra les traces de ces deux ranz. Il a même fini par les y découvrir un peu partout. Pour lui, le moindre appel de cors devient ranz. Ranz aussi, les deux premières mesures de l’entrée de Mathilde, et sa phrase, ou ce fragment de sa phrase chantée : « Désert triste et sauvage. « De l’un et de l’autre ranz, celui de Zwinger et celui de Rousseau, la mélodie essentielle se composant de trois notes successives, la tonique, la tierce et la quinte, reliées ou non par des notes de passage, M. Van der Stracten conclut à la présence du ranz dès que ces trois notes se rencontrent : dans le motif instrumental (violoncelles) qui annonce l’arrivée des conjurés d’Uri ; dans le chœur suivant : « Guillaume, tu le vois ! » enfin dans le cri trois fois jeté : « Aux armes ! » par où le second acte s’achève. Si l’on en croyait notre auteur, on en viendrait à considérer le ranz des vaches comme le gigantesque leitmotiv, la cellule génératrice de Guillaume Tell entier. C’est beaucoup dire, et faire la part bien grande au calcul, bien petite à l’instinct du génie. Parmi des rapprochemens nombreux, trop nombreux, il en est de forcés, d’arbitraires. Mais il en est aussi de naturels, d’incontestables. En somme, le mieux serait peut-être, avec l’auteur aussi, de conclure en ces termes : « Rossini, après s’être imbibé de ranz, a laissé vaguer son inspiration, qui lui a fourni par centaines des variantes paraphrasées des thèmes suisses. Quelques-unes peuvent avoir été inconscientes en détail, quoique intentionnelles dans l’ensemble. »

Ranz ou non, le finale du second acte de Guillaume Tell abonde en effets pittoresques ou descriptifs. Il baigne tout entier dans le sentiment de la nature, ou, comme dirait notre auteur, il en est « imbibé. » Des sonneries lointaines, des phrases discrètes et comme