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LETTRES D’ANGLETERRE

I
L’OPINION ANGLAISE ET LE SERVICE OBLIGATOIRE


Monsieur le Directeur,

Vous me demandez de renseigner les lecteurs de la Revue sur la mentalité anglaise telle qu’elle est en ce moment, au lendemain du vote de la loi qui a établi le service militaire universel et obligatoire. Vous n’attendez de moi, évidemment, ni des dissertations, ni des prophéties, mais des impressions : les impressions d’un témoin qui réside depuis longtemps en Angleterre et que les moindres circonstances de la vie journalière mettent à même de recueillir le sentiment des différentes classes sans qu’il ait besoin d’interviewer, d’interroger personne, puisque l’information vient à lui sans qu’il la cherche.

Je vais essayer de vous satisfaire en vous donnant mes impressions. A défaut d’autre mérite, elles auront, au moins, celui de la sincérité. Je reconnais pourtant que la situation d’un témoin permanent, fixé sur le champ de son observation, a ses inconvéniens aussi bien que ses avantages. Le principal de ces inconvéniens est le curieux effet de l’accoutumance. Elle émousse la netteté, la vivacité, la brusquerie des sensations premières ; elle introduit dans l’esprit, par infiltration, les modes d’appréciation et, parfois, les préjugés du peuple au milieu duquel nous vivons. Ce phénomène ne peut être plus sensible que dans la question actuelle du service militaire obligatoire. La première parole de tous les Français que