Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 32.djvu/525

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

bottines à l’ombrelle. Le seul trait nouveau était la présence des soldats dans les maisons vides transformées en casernes et d’où sortait la chanson d’un gramophone. Ce tableau évoquait l’idée de la « vieille et joyeuse » Angleterre d’autrefois, bien plutôt que celle d’un pays en danger et en deuil.

Pourtant, les événemens prenaient une tournure inquiétante. La campagne destructive des sous-marins, l’échec des Russes dans les Carpathes suivi de l’offensive austro-allemande en Galicie, en Pologne et en Finlande, l’insuccès de notre expédition à Gallipoli, la menace d’une invasion de la Serbie et d’une attaque sur l’Egypte, la défection des Bulgares dont on avait cru acheter le concours par des promesses, alors qu’ils étaient déjà liés par un traité à nos ennemis et prêts à suivre les Turcs dans leur action militaire au service des monarchies centrales, tous ces faits, venant les uns après les autres ou groupés ensemble, donnaient à réfléchir aux gens sérieux, capables de suivre et de comprendre les événemens. Ils sentaient que l’Angleterre était tenue de faire un grand effort non seulement pour exécuter ses engagemens envers les nations alliées, mais pour sauver l’existence même de l’Empire britannique chaque jour visé avec une haine plus directe et plus violente par toutes les voix venant d’Allemagne. Or, le mouvement du recrutement volontaire était complètement arrêté. Il avait donné de magnifiques résultats, des résultats vraiment inespérés ; mais il n’y avait plus rien à en attendre.

Le peuple ne connaissait de la guerre que les grandes nouvelles, les nouvelles à sensation, imprimées en grosses lettres à la porte des boutiques de journaux. Il est incapable de mesurer le progrès ou le recul quotidien, dans cette guerre d’escarmouches, plus sanglantes que les grandes batailles d’autrefois. Mais il s’aperçoit, sans qu’on ait besoin de l’en aviser, de l’augmentation dans le prix des denrées nécessaires, c(est-à-dire de la viande, du thé, du beurre, du sucre et du tabac que les ouvriers placent sur le même rang que les alimens indispensables. Or, quelques-unes de ces choses avaient doublé de valeur et les autres avaient augmenté d’un tiers. On ne faisait pas espérer à l’ouvrier une diminution de ces articles. Le gouvernement faisait savoir qu’il n’y aurait plus de sucre à la fin de 1916. Quant au tabac, l’importation en était interdite et il faudrait se contenter du stock qu’on avait