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grondèrent : ces deux papistes parurent provocateurs ; ils ne surent bientôt plus où se loger, où loger leur Dieu. En trois ans, ils durent changer cinq fois d’abri : les propriétaires qui les accueillaient n’osaient conserver longtemps de tels locataires. Non seulement c’étaient deux idolâtres et fauteurs d’idolâtrie, mais des rumeurs les accusaient d’acheter les petits enfans, de les expédier ailleurs. Le 1er juillet 4801, dans la troisième de leurs installations, ils furent lapidés en pleine messe ; la préfecture les invita, quelques jours durant, à cesser le culte public jusqu’à ce que Genève se fût calmée. L’Eglise primitive avait acheté, par trois siècles de souffrances, la paix constantinienne, et, par la halte aux catacombes, la jouissance du plein soleil ; à leur tour, ils trouvaient d’âpres séductions à payer de trois ans de mauvais traitemens et d’une série de déménagemens cette autre paix qu’allait obtenir l’Eglise, la paix napoléonienne.

L’afflux des catholiques augmentait : secrètement, en 1802, la municipalité s’efforça d’évaluer leur nombre ; on constata qu’ils étaient déjà 1 367 dans la commune de Genève et 3 117 sur l’ensemble du territoire. Ils pourraient y rester, s’y multiplier, y prier ; ainsi l’exigeait des Genevois la tolérance française. Une sorte de Fénelon genevois, le bon pasteur Cellerier, prototype de ce pasteur Prevère que dans son Presbytère Töpffer a mis en scène, prêchait un sermon sur l’excellence du culte réformé, pour mettre les fidèles en garde contre cet autre culte, « naguère étranger, et qui pouvait attirer les regards, exciter chez quelques-uns une indiscrète, une imprudente curiosité. » C’était un langage inattaquable ; un conducteur d’âmes a le droit de prémunir ses fidèles contre des doctrines qui lui semblent un mauvais climat pour leurs consciences. Mais lorsque, en 1800, le pasteur Duby s’élevait contre le principe de tolérance adopté par la République française ; lorsque, en 1801, le pasteur Roustan parlait des prêtres et des cérémonies catholiques avec mépris, maire et préfet firent entendre des réprimandes. Il n’est pas permis à M. Duby, déclara le préfet d’Eymar, d’ignorer que les lois de l’Etat ne veulent reconnaître aucune religion dominante. C’en était fait, à Genève, de l’exclusivisme religieux ; à côté d’elle, en dehors d’elle, l’Église calviniste devait tolérer d’autres âmes, et que les besoins de ces âmes fussent eux-mêmes satisfaits.