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Allaient-ils, dans la mesure où ils auraient part à la souveraineté de l’État, jouer un rôle fragmentaire d’évêques protestans ? C’était illogique, c’était impossible. De cette impossibilité même il résulta qu’en fait, sous ce régime nouveau, les magistrats et députés laïques s’effacèrent de la vie intérieure de l’Eglise ; les pasteurs furent plus pleinement les maitres, et l’on vit pendant quelque temps l’Eglise de Genève devenir, dans toute la force du terme, une « Eglise-clergé. » Le corps pastoral acquérait ainsi un rôle plus accentué, plus impérieusement prépondérant, que ne le comportaient, et la tradition des trois derniers siècles, et la lettre même des ordonnances. En réalité, malgré la prérogative théorique dont l’Etat continuait d’être investi, c’était à la Compagnie des pasteurs et à elle seule qu’appartenait l’élection des pasteurs, la surveillance, la direction du culte, celle des paroisses. Jamais l’élément laïque n’eut, dans l’Eglise réformée, moins d’influence effective : le Consistoire même ne contre-balançait pas la Compagnie, puisque les voix de tous les pasteurs de la ville et de la campagne, qui de droit y siégeaient, formaient majorité.

C’est ainsi qu’à côté de la classe patricienne, qui avait à peu près sevré le peuple de toute habitude sérieuse de l’action politique, s’installait une sorte de hiérarchie ecclésiastique, nettement dessinée, passablement dictatoriale, de moins en moins gênée par l’Etat, se laissant de moins en moins gêner par les laïques. Tandis que, dans l’ancienne Genève, les membres du Conseil des Deux-Cents, c’est-à-dire deux cents laïques, étaient saisis par le Petit-Conseil de toutes les mesures importantes prises par la Compagnie, tandis qu’ainsi le dixième à peu près des électeurs décidaient en dernier ressort des choses de l’Eglise, les pasteurs aujourd’hui tranchaient souverainement.

Mais à l’heure même où les circonstances paraissaient si propices à la pacifique hégémonie de la hiérarchie pastorale, des tempêtes éclataient, suscitées par des questions de dogme, et ces tempêtes risquaient de l’ébranler.

Un « socinianisme honteux, » voilà, s’il en faut croire Frommel, l’état d’esprit où s’attardait la majorité de ces pasteurs. Quelques-uns, sans doute, grâce à la profondeur de leur vie intérieure, s’étaient libérés de cette mode théologique : ils avaient su s’élever au-dessus de ce christianisme raisonnable qui, d’après Guizot, niait les croyances fondamentales, et dont Vinet,