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Simplement, parce que je l’interroge, elle me raconte sa vie, sous cette tente si froide aux dernières heures de la nuit, alors que le poêle s’éteint ; les heures d’attente sous la neige, les réveils imprévus, les repas irréguliers et hâtifs... Elle dit aussi les terribles angoisses de la fuite à travers bois et le long des routes encombrées de fuyards, sous le feu des obus allemands, lors de la rapide retraite de Pologne, dont elle fut, et où il fallait, avant tout, songer à sauver les blessés... Malgré tout, elle aime cette vie de dangers et de fatigues, et elle l’aime à cause du soldat russe si sobre, si courageux, si modeste, si patient...

— Et maintenant, demandai-je, ne craignez-vous pas de voir revenir ces terribles jours ?

La sœur, dont le diner s’achevait, repoussa son assiette et, me regardant avec une flamme de confiance dans les yeux :

— Je ne crains plus rien, dit-elle ; l’heure des épreuves est passée, nous attendons maintenant celle de la victoire…

J’ai vu, il y a peu de jours, dans le village de Z..., à trois verstes de la ligne de feu, une autre sœur de charité. Seulement, celle-là a « quitté le voile » pour revêtir l’habit du soldat. Elle manie le fusil comme un homme, fait le coup de feu dans la tranchée, et a pris part à plusieurs assauts à la baïonnette. Avant-hier soir, elle est sortie de Z... avec quelques-uns de ses compagnons d’armes pour aller prendre un relevé des positions allemandes.

Partie en avant, elle franchit le Styr, se glisse jusqu’aux points qu’elle avait besoin de reconnaître et qu’elle reconnaît en effet... Tout à coup, une sentinelle jette un cri d’alarme ; l’héroïne est serrée de près... Mais ses compagnons arrivent, tuent les Allemands qui la menacent, et elle regagne avec eux son cantonnement, non sans rapporter de précieux renseignemens et des trophées : un fusil et un casque que j’ai tenus hier soir entre mes mains...


XI. — LE CIMETIÈRE DE LA FORÊT

Un jeune soldat est mort à l’ambulance. Deux de ses camarades sont occupés à lui creuser une fosse dans le cimetière aux croix neuves sur la lisière de la forêt. Rien n’est émouvant comme ces humbles tombes, éloignées des demeures humaines, autour desquelles l’herbe poussera en liberté et où les jeunes