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avait refusé d’introduire ; qu’elle acceptât la nomination d’un Consistoire élu par l’assemblée générale des citoyens dits protestans ; qu’elle acceptât l’élection des pasteurs par l’assemblée générale des paroissiens ; et qu’en ce qui regardait enfin le traitement des pasteurs et professeurs de théologie, elle dépendit des votes budgétaires annuels du Grand Conseil, élu par l’ensemble des citoyens du canton, protestans et catholiques. Ce qui restait à la Compagnie, c’était la surveillance de l’instruction religieuse et de l’enseignement théologique et la consécration des pasteurs : hors de cela, elle n’était plus qu’un corps consultatif, se consolant, puisqu’il le fallait, par cette touchante espérance qu’elle demeurait pour l’Église « un dépôt permanent de lumière, de doctrine, de foi et de piété. »

Dépôt de doctrine : qu’était-ce à dire ? le premier consistoire élu d’après le nouveau régime élabora un règlement organique : il y maintenait, comme caractères de l’Église, l’acceptation de l’autorité divine de l’Écriture et la proclamation de la liberté d’examen ; de confession de foi, aucune.

Avec cette constitution nouvelle, s’inaugurait à Genève l’existence d’un type d’Église qu’on devait couramment appeler l’Église multitudiniste, mot d’aspect barbare pour désigner une apparence de chaos, un large cadre s’ouvrant complaisamment aux consciences se disant protestantes ou dites protestantes, sans qu’elles eussent besoin de préciser elles-mêmes quel genre de foi, quelle conception de vie recouvre pour elles ce mot. À en croire Gasparin, les âmes, dans la nouvelle Église de Genève, n’allaient plus être des âmes chrétiennes et vivantes, mais des consciences cataloguées. Ces plaintes étaient inutiles : l’Église de Genève ne pouvait demeurer Église d’État, Église nationale, qu’en affirmant et en accentuant de plus en plus son caractère » multitudiniste. « La grande préoccupation qu’avait eue Calvin d’unir étroitement l’État à l’Église, afin d’assurer le règne des principes chrétiens dans la société civile, allait ainsi, au bout de trois siècles, se retourner contre l’Église et la gêner, la paralyser, quand elle voudrait faire régner, chez elle-même, ces principes chrétiens. Les vieux Genevois tenaient à leur Église nationale, survivante du peuple de Dieu ; cette Église survivait, mais son étroit mariage avec l’État, qui jadis, à certaines heures, avait contraint l’État de chasser hors des frontières ceux qui n’étaient plus admis à la Cène, contraignait