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Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 32.djvu/566

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VIII

De fait, quelques pasteurs de cette Église : Munier, Oltramare, Louis Tournier, Frank Coulin, Félix Bungener, reconquirent, dans cette Genève désormais chaotique, un réel ascendant. Leur Eglise avait des assises incertaines et mobiles, mobiles comme l’est le suffrage des peuples ; elle avait. une foi incertaine, mobile aussi, comme le sont, dans l’atmosphère de la Réforme, les consciences évoluantes. Mais elle était bien servie, avec éloquence, intelligence et dévouement. Elle instituait en 1850 les diaconies, pour le soin des pauvres et la surveillance de la jeunesse ; elle écoutait avec quelque surprise peut-être, mais non sans hospitalité d’esprit, la thèse que soutenait en 1851 le jeune Auguste Bouvier sur les conditions du développement social du christianisme et qui, de loin, annonçait l’éclosion lointaine du mouvement protestant social ; elle se rencontrait, en 1853, avec les théologiens catholiques dans les conférences de Divonne, dernier essai de colloque entre deux confessions dont l’une ne parlait plus la même langue qu’elle parlait au XVIe siècle, et dont l’autre, immuable, et croyant retrouver devant elle Théodore de Bèze, ne le retrouvait plus.

Les prédications d’un David Munier, le plus bel orateur sans doute qu’ait connu au XIXe siècle l’Eglise de Genève, marquaient un progrès immense sur les sermons moralistes ou philanthropiques qui, dans le premier quart de siècle, tombaient du haut des chaires. Munier, sans doute, n’avait pas subi personnellement, consciemment, l’influence du Réveil ; et les préoccupations purement dogmatiques passaient chez lui au second plan, puisqu’il disait sur son lit de mort : « Je ne sais si je suis protestant ou catholique, je suis chrétien et pasteur. » Mais, entre les prêches qui moralisaient la Genève de la Restauration et les discours du pasteur Munier, le Réveil s’était déroulé ; il avait ramené dans la Genève socinienne un certain sens des réalités spirituelles, un certain besoin d’un christianisme qui surpassât la sagesse humaine et qui semblât parfois la délier ; d’un christianisme qui élevât l’âme au-dessus des spéculations humaines au lieu de la maintenir bien correctement dans le sillage d’une philosophie trop compréhensible. La prédication