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de Viltchkowsky, « Tsarskoié-Sélo (le village des Tsars) fut, au XVIIIe siècle, l’opulent berceau de la cour impériale... La guerre contre la Suède, entreprise par Pierre le Grand, n’était pas encore terminée que, déjà, sur les territoires nouvellement conquis, le grand Tsar se mit à bâtir, aux environs de son « Paradis [1], » des châteaux de plaisance. Ainsi s’élevèrent Oranienbaum, Tsarskoié-Sé!o, Pavlovsk et Gatchina. »

Elisabeth II, Catherine la Grande eurent une prédilection toute spéciale pour Tsarskoié-Sélo, qu’elles agrandirent et embellirent. Peu à peu, le parc fut créé, le château devint un palais où les empereurs se plurent à imiter le faste de Versailles. En même temps, leur fantaisie faisait élever, dans les endroits les plus pittoresques du parc, des kiosques, des pavillons où ils pussent se reposer à l’aise et oublier les lois de l’étiquette et de la représentation. L’aristocratie russe s’établit à Tsarskoié-Sélo, à la suite des Tsars. Chaque été, les brillans uniformes des officiers, les fraîches toilettes des femmes, la livrée rouge et or des équipages impériaux donnèrent à la gracieuse résidence une vie scintillante et éphémère. Depuis seize mois, ce bruit s’est tu. Sous l’impulsion de l’Impératrice, la cité d’élégance et de joie est devenue le centre de l’abnégation et du dévouement. Les mêmes aristocratiques visages féminins, qu’on apercevait jadis au fond des luxueux équipages ou à l’abri des claires ombrelles, se retrouvent maintenant sous le voile blanc des Sœurs de Charité.

L’hôpital où l’Impératrice « travaille » avec ses deux filles aînées, les grandes-duchesses Olga et Tatiana, est situé dans le parc impérial. C’est un petit bâtiment, très simple, aménagé pour 37 officiers. Un autre, plus grand, l’avoisine. Il est destiné aux soldats et contient 250 lits. L’un et l’autre sont placés sous la direction chirurgicale de la princesse Guédroïtz.

Sa Majesté avait déjà quitté le petit hôpital lorsque je m’y présentai pour la première fois. Mme la générale Tchébotarieff voulut bien m’autoriser à le visiter et s’offrit à me conduire. Me voilà donc revêtant le « halatt » (blouse) de toile blanche, entrant dans les salles et parcourant les corridors. Dans le petit vestibule du rez-de-chaussée dont les fenêtres donnent sur le parc, je remarque un ouvrage de tricot au métier, abandonné

  1. Nom que le tsar Pierre le Grand donnait à sa nouvelle capitale.